Canicule, guerre et inflation : capitalisme en convulsion

Éditorial

L’été 2022 a révélé l’état de crise profonde et généralisée du capitalisme à l’échelle mondiale. Augmentation des prix des carburants et de l’électricité, températures records, méga-feux de forêts, guerre en Ukraine, tensions à Taïwan, nouvelles menaces sur les retraites par le gouvernement libéral-autoritaire de Macron, incendie de la mosquée de Rambouillet, battage médiatique islamophobe, attaques fascistes et réactionnaires contre le Planning familial… autant d’événements qui dessinent le paysage d’un système en crise au niveau économique, écologique, inflationniste, politique et sociale.

Les Cahiers d’A2C #04 – SEPTEMBRE 2022

Ces crises ne sont pas des phénomènes hasardeux et exceptionnels – et encore moins le résultat de comportements individuels défectueux comme le gouvernement l’avance – mais bien des conséquences du mode de production capitaliste. Ce dernier, basé sur l’accumulation, la recherche de profits, l’innovation et la compétition produit inévitablement des crises économiques et des périodes aux phénomènes morbides, selon l’expression de Gramsci, de guerre et/ou de fascisme. La situation est spectaculairement contradictoire et porte en elle des possibilités révolutionnaires. 

Cette période voit se polariser le champ politique : d’un côté, l’exploitation toujours plus violente des opprimé·es et de la nature, l’exacerbation des conflits inter-impérialistes, l’avancée d’idées réactionnaires et de discours racistes, et de l’autre, la multiplication des luttes à l’échelle mondiale. De nombreuses grèves ont éclaté en France et en Angleterre, des manifestations pour les salaires ou contre l’inflation ont vu le jour dans de nombreux pays, des mobilisations de rue ou sabotages écologistes en Grèce et ailleurs, ou encore des soulèvements populaires au Sri Lanka et au Soudan (voir article sur le Soudan page 25). Dans un tel contexte politique de polarisation, quelle stratégie avoir face au danger fasciste, face aux attaques sociales à venir, face à la précarisation massive et aux conditions climatiques de moins en moins tenables ?

Crise profonde du capitalisme à l’échelle globale…

Depuis quelques mois, la situation économique mondiale est de plus en plus critique et les possibilités de croissance sont grandement amoindries. Les raisons sont multiples, notamment les dernières crises économiques non résolues, les effets de la crise du Covid-19, la guerre en Ukraine et la concentration grandissante des richesses. Notre système économique vit depuis plusieurs mois une crise inflationniste, renforcée par des tensions géopolitiques en Ukraine. Dans le sillage de la guerre, les prix des denrées alimentaires pourraient enregistrer des hausses comprises entre 8 % et 20 %, tandis que les conflits inter-impérialistes qui en découlent entraînent une pénurie de gaz, dont la Russie était le principal exportateur. Les prix de gros d’électricité sont passés de 50 euros/MWh au début de l’année 2021 à 700 euros aujourd’hui et ces chiffres risquent de continuer à grimper pendant l’hiver 2022. 

Ainsi, le taux de croissance est chaque semaine revu à la baisse par le FMI, qui prévient d’une possibilité de récession mondiale. Pendant ce temps, des entreprises telles que Total ou LVMH font des bénéfices records pour le CAC 40. Parmi ces profiteurs de la crise, on trouve les géants de l’énergie qui ont augmenté leurs prix en surfant sur les tensions du marché international liées à la guerre en Ukraine et aux sanctions infligées à la Russie (voir article sur l’inflation page 7). Les sociétés du CAC 40 ont réalisé en 2021 des profits records : elles ont dégagé un résultat net de près de 160 milliards d’euros, soit deux fois plus qu’en 2019, année d’avant la pandémie, tandis que l’augmentation du nombre de foyers sous le seuil de pauvreté tend à augmenter. Durant ces trois derniers mois, 71 millions de personnes supplémentaires ont basculé dans la pauvreté dans le monde selon le Programme des Nations unies pour le développement. 

Réponse des états néolibéraux, Macron et la fin de l’abondance…

Face à l’intensification de la crise économique, les États capitalistes servent de piliers aux grandes entreprises afin de compenser leurs taux de profits insatisfaisants. Ils permettent l’augmentation des pressions sur les travailleur·euses pour produire davantage et s’attaquent aux conquêtes sociales afin de dégager de l’argent public à destination du grand patronat. Pour donner l’impression de soutenir notre classe qui paie la crise, le gouvernement Macron fait passer, avec le soutien de la droite et de l’extrême droite, une loi « pouvoir d’achat » qui n’implique aucune augmentation de salaires. Simplement des primes ou des aides ponctuelles, largement insuffisantes au regard de la hausse des prix. Macron décrète « la fin de l’abondance » et refuse de taxer les gros profits. Dans ce contexte économique mondial, le Fond monétaire international prévient que l’inflation pourrait enflammer les tensions sociales si des mesures ne sont pas mises en place. Or, les mesures prises par le gouvernement Macron sont celles d’un gouvernement néolibéral en temps de crise, qui éteint le feu des entreprises privées avec l’argent public, quitte à entraîner la paupérisation massive de la population.

Les effets de ces perturbations économiques sont d’autant plus lourdes pour les pays du Sud qui sont soumis à une triple pression : augmentation de leur dette liée à la crise du Covid, augmentation des prix de l’énergie et des denrées alimentaires, recherche permanente de ressources énergétiques et de matières premières par les capitalistes occidentaux.

Soulèvement au Sri-Lanka

Conflits impérialistes et convoitise de l’Afrique 

Dans le fonctionnement du capitalisme à l’échelle du monde, les États prennent le rôle de représentants de commerce d’entreprises nationales comme s’ils défendaient un portefeuille client dans la compétition internationale. En période de crise économique, là où la course aux profits est la plus acharnée, les tensions impérialistes sont exacerbées. Ainsi, les crises économiques et le champ politique s’influencent nécessairement. Les tensions géopolitiques se renforcent et les guerres entre puissances dominantes se multiplient. La guerre en Ukraine a justifié un renforcement militaire colossal dans les pays occidentaux face à la Russie (voir l’article sur l’armement page 15) à travers le réarmement de l’Allemagne mais également l’entrée des pays nordiques dans l’Otan. Dans un contexte de repositionnement des puissances mondiales, des tensions d’ampleur sont apparues autour de Taïwan, avec la présence de deux navires de guerre américains en transit dans le détroit et la venue de la dirigeante Nancy Pelosi, événements interprétables comme des provocations de la part des États-Unis à l’encontre de la Chine.

La guerre en Ukraine, en perturbant nettement l’importation de gaz et de céréales, a accéléré l’inflation. Les États se font concurrence dans leurs recherches de sources alternatives d’énergies et de matières premières. Cet été, au Bénin – pays anciennement colonisé par la France –, Macron a tenu un discours anti-Poutine, afin de tenter un rapprochement intéressé avec l’Afrique de l’Ouest pour ses ressources. Sans honte, il est allé jusqu’à caractériser la politique russe de coloniale et dictatoriale. De même, Macron s’est rendu en Algérie pour tenter de trouver une alternative aux livraisons d’hydrocarbures, et pour dénoncer la diffusion d’une pensée anti-France par certains réseaux militants africains.

Désastre écologique mondial…

Jusqu’alors peu ressentie par les populations des pays occidentaux, la crise écologique a effectué un saut qualitatif cet été par la multiplication des méga-feux de forêts et les températures records, largement médiatisées. Pour des milliards de personnes, cette crise se surajoute aux effets des crises nommées plus haut et en devient d’autant plus virulente. Cet été aura permis une conscientisation accélérée du désastre climatique en cours et le gouvernement n’y répond que par un discours individualisant, réduisant les solutions aux comportements quotidiens pour dévier des réelles causes systémiques. La politique de Macron : éteindre la lumière et prendre des douches courtes. Les pays du Sud global, plus vulnérables aux catastrophes et plus exposés, ont encore vu ces dérèglements causer la mort de milliers de personnes dont plus d’un millier au Pakistan du fait d’inondations sans précédent.

Cette prise de conscience massive est susceptible de mobiliser une frange plus significative de la population. Pour cela, il faut combattre les discours culpabilisant les individus et les discours racistes qui veulent lier la lutte environnementale au combat contre l’immigration et associer l’écologie à leurs projets fascistes.

Inondations au Pakistan

Politiques racistes…

Le gouvernement Macron-Borne vit une période de forte illégitimité et sort affaibli des élections législatives. En proposant des lois de destruction des acquis sociaux mais aussi des lois racistes et islamophobes, le clan Macron se rapproche de la droite dure en jouant avec l’extrême droite, participant de fait à la banalisation du Rassemblement national. Le projet de loi sur l’immigration de Darmanin montre la continuation des politiques racistes, terreau favorable aux développements des idées d’extrême droite. Dans la suite logique de la loi Asile et immigration, il remet sur la table la proposition de la double peine, autorisant le retrait de séjour aux étranger·es ayant commis des infractions. Ce projet de loi vise également à faciliter l’exploitation de travailleur·euses par des contrats qui seraient conclus avec des pays du Sud. Cette loi accentuerait les politiques de contrôle et de répression des étranger·es. Par ailleurs, le 30 août, le Conseil d’État valide l’intention de Darmanin d’expulser l’imam Iquioussen de France en raison des propos qu’il a tenus et instaure en acte la double peine. Pour ce faire, malgré les refus de la Justice, le Conseil d’État casse la suspension de l’arrêté ministériel d’expulsion par le tribunal administratif. Un pas de plus franchi par le gouvernement Macron, que rien ne pourrait arrêter pour déployer sa politique raciste… à moins… qu’un mouvement antiraciste de masse vienne le stopper dans son élan.

Danger fasciste…

L’abstention record et la faiblesse de LREM aux législatives sont des éléments d’une forte instabilité politique. Macron y répond par une politique toujours plus réactionnaire et autoritaire. Pour son deuxième mandat, il devra chercher le soutien de LR et de la base du RN. La banalisation des discours racistes et conservateurs permet de diviser notre classe afin d’éviter un mouvement social mais également de flatter un électorat de droite, voire d’extrême droite et d’unir autour d’un projet nationaliste. 

Dans un contexte d’instabilité politique et économique, le fascisme peut être une alternative pour la classe dirigeante, si les autres options ne sont plus possibles pour se maintenir au pouvoir ou qu’un danger trop fort menace les profits durablement. Ainsi, la situation est un terreau favorable à la conquête du pouvoir par les partis fascistes. En France, le RN prend un pouvoir considérable dans les institutions après les élections législatives et, dans l’espace public, les attaques fascistes se multiplient, avec deux meurtres perpétrés cette année à Paris dans le plus grand silence médiatique. Récemment les attaques homophobes, transphobes et misogynes de militant·es d’extrême droite contre le Planning familial font état d’une mise en action de plus en plus régulière et décomplexée des conservateurs en lien avec des courants fascistes. 

En Italie, le parti Fratelli d’Italia, en lien direct avec le fascisme historique soutenant des programmes et des idéologies fascistes, est désormais aux portes du pouvoir avec une victoire quasi-certaine à l’élection présidentielle de septembre 2022.  

…mais des soulèvements contre la faim et des grèves pour les salaires !

Ces deux mois d’été ont été les témoins de la multiplication de soulèvements populaires, de manifestations et de grèves, notamment dans les pays du Sud global où émergent des mouvements massifs contre la faim en réaction à la hausse des prix des produits alimentaires de base et du carburant. En juillet et en août des soulèvements ont eu lieu sur tous les continents : Kenya, Chili, Équateur, Sierra Leone, Argentine, Bangladesh….

Au Sri Lanka, un large mouvement de protestation a émergé face au doublement du prix de l’essence, du riz et du pain et a conduit à la destitution du président. Au Pakistan, 4 000 tisserands font grève pour exiger de meilleures conditions salariales et l’augmentation des salaires face à l’inflation record. La multiplication des mobilisations salariales dans les pays du Sud global pourrait perturber le marché capitaliste mondial qui accroît son profit par la surexploitation des travailleur·euses qui en sont issu·es, considérablement moins chers que les travailleur·euses des pays occidentaux. 

Des grèves de grande ampleur ont également éclaté dans les pays occidentaux malgré une période de vacances souvent synonyme de baisse d’activité militante. En France, des mouvements ont eu lieu notamment dans les secteurs des transports et de la logistique, en Allemagne les dockers de cinq ports se sont mis en grève en juillet et l’Angleterre vit sa plus grande grève des 30 dernières années (voir l’article sur le mouvement page 10). La perspective qu’une grève générale s’y développe est de plus en plus probable selon les médias nationaux. Ce mouvement de grève en Angleterre est d’autant plus impressionnant et porteur d’espoirs qu’il advient dans un pays démobilisé depuis de nombreuses années suite aux politiques libérales de destruction des acquis sociaux et de démantèlement des forces syndicales durant les années Thatcher. De plus en plus de secteurs d’activité sont touchés, donnant une perspective politique aux mobilisations. La date du 29 septembre à l’appel des syndicats CGT et Solidaires – pour la hausse des salaires, des retraites et des minimas sociaux – ouvre la possibilité d’un mouvement social en France. Nous pourrions alors puiser de la force dans des liens de lutte et de stratégie avec les camarades du Royaume-Uni.

Port de Felixstowe en Angleterre en grève.

Quel rôle jouer … 

Cette période d’accélération et d’intensification politique à la fois dans les attaques du capitalisme mais aussi dans les luttes qui lui résistent pose plus clairement la nécessité d’une activité militante révolutionnaire capable de mettre en débats les options stratégiques et de penser l’élaboration d’une boussole politique afin de construire, par en bas, les possibilités d’une révolution mondiale. Car, si la période politique porte en elle une possibilité révolutionnaire, celle-ci n’est pas automatique et nécessite un travail militant conséquent de politisation des crises comme illustrations des contradictions du capitalisme mais également d’élargissement, de renforcement et de structuration des luttes en cours, féministes, écologiques et antiracistes en France.

… dans les prochaines mobilisations syndicales ?

Les récents soulèvements semblent ouvrir une période de luttes mondiales. Les appels à la grève fin septembre permettent de discuter de revendications pas uniquement centrées sur les salaires en posant la question du financement des services publics en général et de la transformation écologique. Ainsi cela permet d’augmenter l’autonomie politique de la classe exploitée qui vient à se penser comme acteur politique à travers son pouvoir économique. Conscient·es de la montée du racisme et du danger fasciste, construire des revendications antiracistes et antifascistes au sein du mouvement social permettrait de faire reculer les possibilités du fascisme, d’éviter la division autour des discours dominants racistes qui vont à l’encontre des intérêts de notre classe. 

Renforcer nos mouvements antiracistes et antifascistes en parallèle et en dialogue permanent avec les mouvements sociaux permettrait de construire une force révolutionnaire depuis et avec les lieux de travail, ayant le rapport de forces nécessaire pour se penser comme une alternative au pouvoir et au système capitaliste.

…et face au réformisme ?

La tentation est forte dans ce siècle des catastrophes, de se tourner vers les propositions des partis réformistes d’union autour de programmes qui porteraient les voix de nos luttes dans les lieux de pouvoir et de déléguer la résolution des crises à des personnes qui proclament leur capacité de le faire. 

La Nupes propose de se faire le relais des luttes et d’exister comme contre-pouvoir parlementaire face au RN, à LR et à LREM. Si cette initiative politique a permis, parfois, la réapparition de débats et de propositions soutenant les intérêts de notre classe, la Nupes et la FI ne cherchent pas à construire la lutte à la base. La FI tente de gagner un brevet de respectabilité républicaine en invitant Marlène Schiappa et Rachida Dati, toutes les deux connues pour leur discours racistes et islamophobes. En offrant une tribune à celles qui s’opposent aux intérêts de notre classe, le réformisme affaiblit notre camp et signe son échec à nous sortir de la crise actuelle.

….On s’organise, par en bas !

Plutôt que déléguer, nous devons, à travers nos expériences de luttes, construire notre confiance politique et porter la seule solution sérieuse à la convulsion du capitalisme, sortir de celui-ci. S’organiser dans nos quartiers, sur nos lieux de travail, d’études, pour lutter contre le racisme, la lutte doit avoir lieu nécessairement sur le terrain de l’exploitation et dans notre quotidien, pas uniquement sur les bancs de l’Assemblée nationale. Si nous attendons que des élu·es se battent à notre place, nous pouvons attendre longtemps avant de voir reculer le racisme et changer de système. Éteignons le feu, avec une révolution internationale par en bas !

Anouk (Marseille) et Solen (Rennes)

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