Dans un contexte politique et social éruptif, une rentrée des luttes sans concession !

Éditorial

Après des mois de lutte contre la réforme des retraites, après 100 jours de zbeul, après les révoltes dans les quartiers populaires, après des mouvements de grève significatifs pour de meilleurs salaires dans de nombreuses entreprises, l’année 2023 n’a pas dit son dernier mot : jusqu’au bout, jusqu’à la victoire, nous resterons de tous les combats !

Les Cahiers d’A2C #09 – SEPTEMBRE 2023

La longévité, la détermination, le caractère massif et la popularité du mouvement contre la réforme des retraites en a surpris plus d’un·e. Si ce dernier n’a pas permis de faire fléchir le gouvernement et de construire suffisamment la riposte par en bas, il a nourri notre classe de nouvelles expériences déterminantes pour les suites et a considérablement affaibli le gouvernement dans un contexte politique de plus en plus polarisé. Dans le cadre de cette contestation et celle des méga­bassines à Sainte-Soline, les arrestations arbitraires, la violence de l’encadrement des manifestations et des interpellations, ont vivement été condamnées par une grande majorité de la population. 

Pourtant, après le meurtre de Nahel, lors des révoltes dans les quartiers populaires, la solidarité et le soutien actif, sans aucune réserve, qui aurait pu s’organiser, créant confiance et liens entre le mouvement social « traditionnel » et les émeutier·es, n’a pas été à la hauteur. En effet, nous nous heurtons à deux écueils : 

Le premier, le plus problématique, même empreint de bonnes intentions, s’inscrit dans une logique condescendante et paternaliste héritée du colonialisme : interdire aux premier·es concerné·es de choisir leurs armes, en exprimant l’idée que les jeunes des banlieues, malgré la légitimité de leur révolte face aux violences et au racisme systémique, utilisent une « stratégie inadéquate » et « contre productive ». Si leur stratégie différait de celle du mouvement contre les retraites, visant tout ce qui symbolise l’État alors que l’autre respectait avec discipline le calendrier institutionnel, leur révolte était éminemment politique, d’une détermination exemplaire et a permis la construction d’un rapport de forces considérable.

D’un autre côté, le second écueil renforce l’idée culpabilisatrice qu’en tant que non racisé·es, nous ne pouvons nous exprimer à la place des révolté·es. Il est donc susceptible de favoriser l’inaction. Si les inégalités au sein de notre classe dans nos rapports à l’oppression nous enjoignent à respecter l’auto-organisation des premier·es concerné·es, cela ne doit pas entraver les processus permettant d’unir notre classe. Ces révoltes s’inscrivaient dans des logiques similaires à celles que nous venions de vivre ; une volonté transformatrice de la société, un renforcement du processus de polarisation et une continuité dans la réponse de l’État, à savoir la répression contre notre classe. Aussi, s’il est indéniable que cette dernière revêtait un caractère raciste, plus massif, plus violent et quasi militaire, nous étions légitimes pour soutenir activement les émeutes, même en utilisant des stratégies qui nous sont propres. C’est en organisant des manifestations massives de solidarité que nous aurions pu instaurer des rapports de confiance et des ponts entre nos deux mouvements.

Pas de vacances pour le racisme et l’extrême droite : un danger fasciste de plus en plus prégnant

Le 6 août, la première version du nouveau JDD paraît. À sa tête, Lejeune a réuni ses ami·es les plus réactionnaires. Si près de 90 % des salarié·es ont quitté le navire, si, pour l’instant, le journal peine à trouver des annonceurs, cet événement est loin d’être anodin. La massification des médias d’extrême droite engagée par Bolloré est en marche, vite, très vite, et accompagne la banalisation des idées les plus crasses. Pendant ce temps, les groupes d’extrême droite continuent de s’organiser, d’œuvrer, de recruter : intensifications des attaques et des ratonnades, recrudescences de tracts nazis, organisations de plus d’une quinzaine de camps d’été, etc.

Pendant ce temps, la liste des personnes migrant·es qui décèdent en mer ou dans le désert tunisien s’allonge : 1 848 personnes ont perdu la vie en traversant la Méditerranée selon l’OIM depuis le début de l’année 2023. Pourtant, en toute connaissance de cause, l’Union européenne poursuit sa politique d’externalisation des frontières et vient de signer un nouvel accord criminel, négocié par Meloni et Von der Leyen avec la Tunisie.

Une rentrée des luttes axées contre le racisme, l’islamophobie et la loi Darmanin

C’est dans ce contexte que de nombreux·ses syndicats et organisations ont signé un texte appelant à une marche unitaire le 23 septembre « pour la fin du racisme systémique, des violences policières, pour la justice sociale et les libertés publiques ». La proposition, tardive, est positive. Elle tente de mobiliser le mouvement social « traditionnel » contre le racisme et les violences policières.

Cependant, au-delà de la condamnation d’une justice expéditive, peu de soutien est exprimé envers celleux qui, arrêté·es aux moments des émeutes, sont jugé·es et enfermé·es. Et contrairement aux camarades en garde à vue pendant les grèves, personne ne crie leurs noms devant les commissariats. La violence de la garde à vue, la violence du dépôt, la violence du système, l’objetisation, la déshumanisation sont insupportables. Pourtant, aucune condamnation dans ce texte de la justice de classe raciste ! Aucune revendication concernant la relaxe sans condition de tou·tes les émeutier·es !

D’autre part, les revendications concernant la police entretiennent l’idée qu’elle est réformable, qu’il faudrait changer son armement, et non la désarmer, que le problème n’est pas sa nature et qu’il suffit de mieux la contrôler pour freiner violences et aspirations factieuses. 

De plus, en tentant d’évoquer tous les sujets (crises écologique, politique et sociale, féminisme, racisme, etc.), telle une liste à cocher, sans aucune articulation, l’appel à la convergence ressemble à un vœu pieu. Si l’objectif premier semble être, puisqu’il s’agit des premiers mots du titre, la lutte contre le racisme et les violences systémiques, aucune analyse n’en est faite. Les propositions pour y mettre fin sont peu concrètes et surtout, la loi Darmanin, pourtant à l’ordre du jour de la rentrée, et l’islamophobie, illustrée notamment par l’interdiction des abayas, première préoccupation du nouveau ministre de l’Éducation, ne sont pas du tout évoquées.

En outre, l’extrême droite n’est mentionnée qu’à travers le prisme du gouvernement qui en ferait « le lit » mais pas en tant que danger propre. Pourtant, les distinguer est essentiel pour construire les stratégies qui permettront de les vaincre. Et ces dernières ne sont absolument pas antinomiques.

Enfin, aucune perspective n’est proposée au-delà de cette marche, seulement un vague appel à d’autres initiatives sur tout le territoire et à faire front sur le long terme.

Cependant, en y apportant des critiques constructives, cette initiative par en haut est une occasion d’organiser la riposte. De convaincre, sur le terrain, nos collègues, nos camarades de la nécessité de construire un front antiraciste et antifasciste. D’investir la lutte contre le projet de loi Darmanin qui cristallise les éléments énoncés plus tôt : lutte contre le ministre de l’Intérieur, qui se positionne en soutien inconditionnel des forces de l’ordre et de leurs syndicats, lutte contre le racisme, contre l’islamophobie et contre la politique mortifère du gouvernement envers les migrant·es.

Sur tous les fronts, articuler les luttes et faire classe !

Par l’expression de notre solidarité envers toutes et tous, contre toutes les discriminations instaurées par une société profondément inégalitaire qui divise celles et ceux qui en sont les victimes, par nos constructions collectives, par nos actions concrètes, nous reprenons le pouvoir, nous créons les conditions nécessaires, indispensables pour lutter contre l’oppression, l’exploitation et pour endiguer et faire refluer la poussée de l’extrême droite, la banalisation de ses idées et le danger fasciste.

À l’heure où l’on nous parle de « bon·nes » et de « mauvais·es » manifestant·es, de « bon·nes » et de « mauvais·es » migrant·es, de « bonnes »et de « mauvaises » victimes du système policier et judiciaire, nous, militant·es, avons une responsabilité, celle de réaffirmer qu’il n’y a qu’un seul bon côté de la barricade, qu’il n’y a qu’une seule classe face à un seul système et celleux qui le servent, qu’il est indispensable d’investir les luttes qui soutiennent les plus opprimé·es d’entre nous : convaincre, partout, tout le temps, sans concession, jusqu’à la victoire !

Charlotte Pavez, Romainville
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