L’OTAN, ou le trait d’union d’une guerre mondiale à une autre ?

« Les alliances pacifiques préparent les guerres, et à leur tour, naissent de la guerre ; elles se conditionnent les unes les autres, engendrant des alternatives de lutte pacifique et de lutte non-pacifique sur une seule et même base, celle des liens et des rapports impérialistes de l’économie et de la politique Mondiale.»

Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, 1916
Les Cahiers d’A2C #05 – noveMBRE 2022

Revenir sur l’histoire de l’OTAN est nécessaire pour comprendre que la guerre a constamment été pensée comme une possibilité dans le cadre de la concurrence entre blocs impérialistes depuis 1945, et d’autre part, pour appréhender l’ensemble des guerres actuelles, y compris celle qui sévit en Ukraine, dans une dynamique globale : celle du renforcement de la concurrence entre les puissances occidentales et l’axe Chine-Russie. 

La guerre inhérente au capitalisme

Au début du 20e siècle, les théoricien·nes marxistes de l’impérialisme ont produit des analyses à même de comprendre un phénomène majeur : la guerre mondiale entre États impérialistes. Selon l’analyse de N. Boukharine, la Première Guerre mondiale n’est en rien contradictoire avec les intérêts des capitalistes européens. Au contraire, elle découle de trajectoires intrinsèques à l’accumulation capitaliste. L’accumulation, dans un système économique capitaliste, n’a pu se réaliser que par la concurrence au sein d’une même activité économique, au sein d’une même branche, au sein d’un même État. 

Le développement du capitalisme industriel et commercial en Europe, au 19e siècle, et la férocité de la concurrence à l’échelle nationale ont réduit le nombre d’unités de production au sein d’une même branche pour laisser émerger de vastes trusts en situation de quasi-monopole à l’échelle de leur économie nationale. Ainsi, les plus gros capitalistes ont broyé ou absorbé les plus faibles. Quelques décennies plus tard, le même processus a été constaté au sein des banques et autres organismes du capital financier qui ont partiellement fusionné avec les intérêts des trusts industriels et commerciaux. C’est bien cette séquence de développement du capitalisme mondial qui, selon Boukharine et Lénine, amène à un État capitaliste d’une nouvelle espèce : celui de l’impérialisme. 

L’impérialisme ne peut donc se définir par la seule domination des pays développés sur les pays du Sud. L’impérialisme combine la capacité de certains États à imposer leur domination militaire et les rapports concurrentiels qui s’exercent entre trusts et donc entre puissances capitalistes. 

Dans un double contexte, celui d’une crise globale du capitalisme engendrant une concurrence exacerbée entre les trusts des puissances capitalistes, et celui du déclin de puissances hégémoniques (USA, France, Grande-Bretagne, etc.) concurrencées par une puissance émergente, la Chine, un nouveau conflit mondial entre puissances capitalistes est plus que jamais entré dans le champ des possibles. L’OTAN en reste un acteur majeur. Comprendre son histoire et ses trajectoires doit permettre de comprendre ce qui se joue en ce moment en Ukraine et dans différentes guerres actuelles.

Asseoir une domination économique au sortir de la Seconde Guerre mondiale…

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe est en grande partie ruinée et surtout, à l’image de l’Allemagne, coupée en deux. La conférence de Yalta place le nouveau partage du monde sous la domination de deux nouvelles super-puissances impérialistes concurrentes : les États-Unis et l’URSS. 

Dans les années qui suivent la fin de la guerre, l’objectif des USA est de dominer les marchés européens, notamment ceux associés à la reconstruction des villes européennes par ses multinationales. L’objectif était de créer de nouveaux « marchés libres » construits autour d’entreprises commerciales et industrielles américaines. Cela s’est notamment concrétisé par le plan Marshall consistant à des prêts aux pays européens et en finançant des partis pro-américains.

Pour la France et la Grande-Bretagne, anciennes super-puissances coloniales, et reclassées en 1945 en des puissances impérialistes de second rang, leur principal intérêt est de conserver leur domination vintage et sanguinaire sur leurs aires d’influence : leurs colonies en Afrique, au Moyen-Orient et dans l’Océan Indien. À cette époque, elles se trouvent confrontées à la vivacité des mouvements indépendantistes, et redoutent que les révolutions nationales trouvent en l’URSS un allié de circonstance. 

De plus, ce bloc occidental s’est trouvé confronté à la course effrénée menée par le capitalisme soviétique et destinée à combler un retard en matière de développement économique… et militaire. Le capitalisme russe voit alors sa propre industrie mieux servie par le contrôle étatique des économies d’Europe de l’Est et de toute l’Asie. 

Ainsi, le choc idéologique entre l’Occident et la Russie ne concernait pas la démocratie progressiste contre l’autoritarisme réactionnaire. Il représentait deux visions concurrentes de la façon dont le capitalisme mondial devait fonctionner.

Les représentants des nations signataires du pacte de l’Atlantique à Washington le 27 janvier 1950.

… n’a pu se faire sans une alliance militaire sous l’ère du développement impérialiste

C’est dans ce contexte, en avril 1949 à Washington que 12 États européens et nord-américains ratifient le traité de l’Atlantique Nord. Dès la ratification du traité, l’OTAN contient un objectif d’assistance militaire entre les États qui le composent. L’article 5 précise : 

« Les parties conviennent qu’une attaque armée contre l’une ou plusieurs d’entre elles survenant en Europe ou en Amérique du Nord sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties, et en conséquence elles conviennent que, si une telle attaque se produit, chacune d’elles […] assistera la partie ou les parties ainsi attaquées en prenant aussitôt, individuellement et d’accord avec les autres parties, telle action qu’elle jugera nécessaire, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer la sécurité dans la région de l’Atlantique Nord. »

Deux évènements majeurs renforcent son rôle de coopération militaire. Premièrement, dès l’été 1949, l’URSS accède à l’arme nucléaire. Les États-Unis s’affolent de cette nouvelle, leur capacité à imposer leur domination se trouve nécessairement ­concurrencée par la capacité de dissuasion nucléaire russe. 

Ensuite, en 1950, surgit la guerre de Corée. C’est l’un des premiers réchauffements majeurs de la guerre froide. La Corée du Nord, soutenue par la Chine et l’URSS envahit militairement la Corée du Sud, elle-même sous contrôle américain. Durant trois années de guerre fratricide, l’URSS et le bloc occidental se mènent, déjà à l’époque, une guerre par procuration, au détriment des populations coréennes : les USA fournissent près de 300 000 soldats à la Corée du Sud, côté nord-coréen, la Chine 1,2 million d’hommes, et l’URSS de nombreux équipements militaires.

Dès le mois de décembre 1950, les 12 États membres de l’OTAN amènent le traité initial pour intégrer une force armée à l’assistance mutuelle et placer un commandement suprême au-dessus des unités nationales. 

Une détente avec le doigt sur la gâchette

L’idéologie dominante situe la détente comme résultant de cet accroissement des richesses produites du côté occidental et en raison de la mort de Staline. 

L’année 1953 marque en ce sens un tournant. La guerre de Corée est un désastre sur un plan humain. 2 000 000 de civils coréens, 1,2 million de soldats issus des contingents chinois et nord-coréens et 500 000 combattants des troupes occidentales sont morts. Une sorte d’équilibre des forces en résulte et implique de devoir penser la concurrence entre ces blocs par d’autres formes que par des conflits armés les opposant directement. 

Ainsi, côté occidental, le général américain Mc Arthur, auteur des pires crimes de guerre en Corée, est licencié par Harry Truman. Du côté russe, la mort de Staline amène le régime à se restructurer et à envisager une détente avec le bloc occidental et les différentes tensions entre blocs deviennent l’affaire de la diplomatie.

Néanmoins, la lecture de la trajectoire qu’a pris le capitalisme et des tendances qui l’ont dominé des années 1950 jusqu’au début des années 1990 permettent de comprendre que la guerre a constamment été un moyen d’affirmer la domination impérialiste. Comme le fait remarquer le révolutionnaire britannique Chris Harman, cette détente n’estompe en rien la course à l’armement financée par une économie permanente de l’armement. « Les dépenses militaires, dans les deux camps, atteignent des sommets sans précédent en temps de paix, jusqu’à 20 % du PIB côté américain et 40 % du côté soviétique »1Chris Harman, Une histoire populaire de l’humanité, La Découverte, 2011.. Le développement de l’armement nucléaire, la croissance de l’aéronautique et la conquête spatiale demeurent des constantes durant la guerre froide et incarnent le hardpower de la concurrence inter-impérialiste.

Sans se faire la guerre mutuellement, les armées de l’OTAN et de l’URSS n’ont cessé de tenter de maintenir leur domination et leurs aires d’influence respectives sur les États en voie de développement.

Le soutien au régime des colonels en Grèce ou l’ingérence américaine durant l’invasion impérialiste de l’Afghanistan sont autant d’exemple qui attestent que la politique de l’OTAN durant les années 1970 et 1980 a été pensée pour maintenir des régions du globe sous domination des capitaux occidentaux et plus particulièrement, américains. 

Après 1991, les croisades reprennent

La chute de l’URSS et les dissensions entre puissances occidentales auraient pu amener l’OTAN à se dissoudre. Bien au contraire, l’OTAN a toujours cherché à étendre son influence. Trois politiques ont guidé les résolutions de l’OTAN depuis la fin de la guerre froide. 

– Assouvir les intérêts économiques et politiques de ses principales puissances dans des États en voie de développement par des interventions et des occupations militaires. Ces politiques dictées par les USA ont généré les guerres impérialistes en Irak (1991 et 2003), en Bosnie (1999) ou en Afghanistan (2001).

– Mener une expansion vers l’est de l’Europe. L’effondrement de l’URSS laisse place à une Russie affaiblie sur un plan politique et militaire comparativement aux États-Unis. Elle n’en demeure pas moins la deuxième puissance nucléaire au début des années 1990 et les nouveaux oligarques se sont vus disciplinés par le régime mis en place par Poutine. La reconfiguration des rapports entre l’État et les capitaux russes permettent au régime de maintenir une domination impérialiste sur certains États anciennement satellites de l’URSS. La rivalité inter-impérialiste entre l’OTAN et la Russie est la raison même de la guerre en Ukraine et des bombardements de l’Arménie par l’Azerbaïdjan. 

– Faire face au développement de l’impérialisme chinois. L’expansion des richesses produites par la Chine et son capitalisme dirigé par l’État lui permettent d’imposer une rivalité inter-impérialiste aux USA. Dès la seconde intervention en Irak, la classe dirigeante américaine désire contrôler l’ensemble des puits de pétrole alimentant l’industrie chinoise. Depuis les années Trump, l’administration américaine se livre à une guerre commerciale avec la Chine et à une intense course à l’armement. Sur un plan militaire, l’OTAN, depuis quelques années, tente de développer une alliance de seconde classe dans l’océan Pacifique. L’objectif étant d’y implanter des bases militaires et ouvrir la possibilité d’affrontement militaire avec la Chine sur des territoires donnés comme à Taïwan ou en Corée. 

Chaque conflit local, en Ukraine, en Corée, à Taïwan ou dans le Caucase prend des dimensions globales en raison des ingérences des puissances impérialistes se livrant à leurs propres rivalités au détriment des peuples meurtris par les guerres.

Le dernier sommet de l’OTAN à Madrid en juin 2022 a ouvert la voie à davantage de morts et de destructions en Ukraine mais aussi à la menace d’une guerre plus large. Les dirigeants de l’OTAN ont convenu de plus d’armes pour le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui s’est exprimé lors du sommet. Cela signifie une intensification de la guerre par procuration que l’impérialisme américain et l’impérialisme russe mènent contre l’Ukraine.

Le président Joe Biden avait déjà promis que les États-Unis déverseraient du matériel militaire en Europe. Cela comprend un quartier général permanent pour le 5e corps d’armée en Pologne, 5 000 soldats supplémentaires en Roumanie et deux escadrons de F-35 en Grande-Bretagne.  

Les nouveaux déploiements américains viennent s’ajouter aux 100 000 soldats qu’ils ont en Europe – qu’ils avaient déjà augmentés de 20 000 depuis l’invasion russe. Et, au-delà des États-Unis, ses alliés augmenteront le nombre de soldats en état d’alerte maximale de 40 000 à 300 000.

Lors du sommet, les dirigeants de l’OTAN ont convenu d’inviter la Finlande et la Suède, jusqu’à présent des pays officiellement neutres, à rejoindre l’alliance.

L’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN est un autre signe de la façon dont le monde est contraint à des camps impérialistes rivaux, les États-Unis, la Russie et la Chine. Ils sont armés d’armes nucléaires et s’affrontent à travers l’Europe de l’Est et l’Asie. Plus que jamais, comme le criait Karl Liebknecht, « l’ennemi principal est à la maison »

Gaël Braibant, Montreuil
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Notes

Notes
1 Chris Harman, Une histoire populaire de l’humanité, La Découverte, 2011.