N’attendons pas le jour d’après !

Édito d'avril 2020

Le jour d’après fleurit. Textes, revendications, pétitions, nous promettent que le jour d’après sera de colères.

Et pourquoi pas ? Si ce qui diffuse c’est la conscience qu’au-delà du nombre de victimes et de la peur, c’est ce système et celles et ceux qui le dirigent et en profitent qui sont coupables. Qu’il faut donc en changer.

Mais alors… mais alors pourquoi donner rendez-vous au jour d’après ? 

Que s’agit-il d’attendre ? Qu’est-ce qui doit se finir pour en finir avec cet aujourd’hui de luttes confinées ? Le virus ? Chacun sait pourtant qu’il ne disparaîtra pas en un jour, que, si c’est lui qui justifie qu’on attende, alors on attendra longtemps… au moins jusqu’au vaccin.

Cela alors que le pouvoir annonce pour le 11 mai un processus de dé-confinement dont les motivations sont rien moins que sanitaires.

Alors pourquoi, puisque, justement, il y a urgence, ne pas commencer aujourd’hui1Il faut lire cet article de Serge Quaduppani https://lundi.am/Une-fin-du-monde-aux-couleurs-de-printemps

La théorie des parenthèses

Ce qui est saisissant dans les appels au « Jour d’après » qui viennent de la gauche, c’est la non prise en compte de la politique d’aujourd’hui, parenthèse silencieuse. Quand on le fait remarquer… on nous reparle d’hier. Le mouvement d’hier devient alors si grand qu’il couvre d’une ombre pudique le présent.

A première vue c’est étonnant tant il y a parmi les optimistes du « jour d’après » des ancienNEs sceptiques (pour dire le moins) du « jour d’avant ». Hier les périodes de luttes, dissociées les unes des autres, n’étaient que des parenthèses dans le cours général d’un monde où avançait le rouleau compresseur libéral.

Mais aujourd’hui aurait tout renversé. Grandies par la catastrophe, les luttes d’hier vont rebondir au jour d’après, encore plus massives, plus fortes, plus profondes.

Et si on comprend bien ce renversement serait le produit d’une période où notre classe est physiquement atomisée comme elle ne l’a jamais été, dans une période où les organisations militantes fonctionnent principalement par les réseaux sociaux virtuels.

Le retour du réformisme

Cette « théorie des parenthèses » a une logique. Ce qui serait déterminant dans l’histoire de l’émancipation n’est pas la lutte collective, l’expérience et les liens qui s’y créent, la remise en cause de toute l’idéologie dominante qu’elle peut provoquer. Ce qui est déterminant ce sont les grands hommes (plus souvent que les grandes femmes !), les intellectuels théoriciens, les programmes. Ils n’étaient pas assez écoutés hier ? Alors rien de possible. Le confinement actuel a réduit l’activité militante aux discours et aux programmes ? ils ont l’impression d’être écoutés aujourd’hui ? Demain tout devient possible.

Disons-le, les théories et appels au « Jour d’après » ont un écho, bien sûr. Celui qui marie l’espoir à l’impuissance. C’est la base même du réformisme, de son influence dans notre classe, l’idée qu’il faut changer les choses mais que, nous les petitEs ne le pouvons pas, pour cela il nous faut des dirigeantEs intelligentEs prenant les rênes de l’Etat, car l’Etat est neutre et pourrait agir aussi bien pour nous qu’il le fait actuellement pour les riches.

C’est d’ailleurs le fond de beaucoup d’appels au Jour d’après. Et cela semble réaliste. Imaginez, après des décennies d’hégémonie de l’idéologie néo-libérale, les classes dirigeantes semblent redécouvrir les charmes de l’intervention de l’Etat dans l’économie, nationaliser n’est plus tabou, l’orthodoxie monétaire flanche, l’Etat peut – doit – s’endetter, il faut des politiques de relance par la consommation…

Alors tout devient possible : Mélenchon à la tête de l’Etat et nous aurons le socialisme !

Un réformisme tardif

Ce réformisme tardif fonctionne à contre-sens. Les politiques mises en place par les classes dirigeantes des différents pays, même à tâtons, ont été et sont orientées dans le même sens : vers un « capitalisme d’Etat » qui n’en est encore qu’à ses premiers stades. Il peut prendre différentes formes alternatives ou/et successives dont le fond est le même, l’impérialisme et l’économie de guerre2https://www.autonomiedeclasse.org/antiracisme/les-sales-virus/.

Penser, au moment où tous les Etats durcissent leur noyau dur, outil de répression, de contrôle et de surveillance, que l’Etat peut servir l’émancipation, c’est s’offrir désarmé à l’ennemi au moment même où celui-ci tourne ses fusils contre nous.

Penser que cette évolution est causée par la catastrophe sanitaire c’est inverser les causes. Cette trajectoire du Capital, tout comme la crise du capitalisme, était en cours bien avant le coronavirus. La crise sanitaire est devenue le moyen pour l’amplifier.

Mais cette vision révèle un autre aspect central du réformisme quand il devient stratégie politique. Le réformisme suppose toujours de pouvoir convaincre une fraction « éclairée » des classes dirigeantes. D’où les unions sacrées et la collaboration de classe. D’où son manque de confiance congénital et finalement son mépris pour les colères et les capacités de lutte et d’émancipation de notre classe.

Pas de parenthèse

Comprendre cette trajectoire du Capital ne devrait avoir qu’une conclusion. Il n’y a rien à attendre de ce côté, rien d’autre que misère, danger fasciste et guerre. Il n’y a d’autre alternative que tout ce qui construit l’antagonisme de notre côté, du côté de notre classe, tout ce qui construit son autonomie, ses propres outils d’organisation, ses propres analyses, sa propre intelligence en antagonisme résolu avec le monde du Capital, ses patrons, son Etat et ses frontières.

C’est à cette aune qu’il faut lire les mouvements de ces dernières années, dans leurs forces comme dans leurs faiblesses, comme processus de construction de notre classe, comme processus dont la révolution est le moteur et le but3https://www.autonomiedeclasse.org/crise-politique/linsurrection-des-gilets-jaunes-netait-pas-une-parenthese/.

Ce qui se passe actuellement n’épuise pas cet « avant ». Et nous ne pouvons que nous réjouir des exemples de révolte, de solidarité et de luttes qui se produisent malgré la chape de plomb actuelle, les brigades de solidarité, les grèves, les révoltes dans les CRA et les prisons. Et nous ne pouvons qu’espérer que les dynamiques antérieures continueront de produire leurs effets dans les semaines et mois à venir.

Aussi la réaction

Mais rien n’est fatal dans ce processus, notamment parce que la classe dirigeante ne reste pas les deux pieds dans le même sabot.

Cela signifie que la période actuelle n’est pas plus une parenthèse que ne l’ont été les phases de luttes. Elle n’efface pas d’un coup ce qui s’est passé avant mais elle ne peut pas non plus être enjambée pour sauter dans un hypothétique « après ». Au-delà des transformations structurelles mises en œuvre par les classes dirigeantes et l’Etat en s’appuyant sur la crise sanitaire et sa gestion, ce que le confinement a sans doute de plus dangereux pour la suite c’est le consentement généralisé qu’il a provoqué et construit à l’Etat et à son renforcement et c’est aussi, la généralisation d’un mode de gouvernement par la « distance à l’autre » qu’il a institué. Pour ne prendre qu’un exemple : sera-t-il plus facile, plus « audible » d’argumenter pour l’ouverture des frontières dans nos « jours d’après » si l’idée s’est installée que la seule réponse d’urgence à la propagation du virus est le confinement ? #Restezchezvous risque de prendre rapidement toute sa signification raciste.

La révolution ne fait pas crédit

Alors la question n’est pas de se cantonner à apprendre à survivre dans une période de catastrophe mais d’apprendre, dans ces conditions, à continuer à lutter, à construire les outils de l’affrontement.

Outre les besoins dans les hôpitaux, les tests massifs et les masques, il nous faut lutter pour des conditions qui permettent la distanciation physique dans les lieux de travail, les lieux d’habitation et dans l’espace public et pour que cela permette de vivre. Cela implique aussi bien le refus du travail « non sanitaire » que la lutte pour des logements décents pour touTEs, avec ou sans papiers, l’assurance d’un revenu garanti pour touTEs Aussi bien la construction de réseaux de solidarité face à la pandémie que la lutte contre l’Etat policier. Avant le 11 mai comme après.

Cela signifie la nécessité d’expressions collectives, y compris de rues, à organiser en tenant compte des précautions sanitaires, pour ces droits et ces conditions.

C’est maintenant qu’il faut sortir du confinement, non pour aller travailler, mais pour imposer les mesures réelles de l’urgence sanitaire parce que le virus ne sera pas moins dangereux le 11 mai que maintenant. Parce que l’économie que Macron et le Medef veulent « relancer » c’est celle qui nous tue.N’attendons pas. La date du 1er mai pourrait être la première occasion d’ampleur de déconfiner nos luttes. Un premier pas pour construire la possibilité d’un refus, notamment dans l’éducation, du « retour progressif à la normale » le 11 mai.

Denis Godard
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