Récit d’une grève contre l’islamophobie, le racisme et le sexisme dans l’Éducation 

Marseille

Récit d’une lutte menée par des lycéen·nes et d’une grève menée par les AED (assistant·es d’éducation) à Marseille, contre les intimidations racistes et sexistes dans les établissements scolaires. Cette lutte nous permet de nommer les obstacles mais aussi les possibilités d’auto-organisation des travailleur·euses précaires contre les oppressions racistes. 

Les Cahiers d’A2C #09 – Septembre 2023

Au printemps 2022, des propos racistes de la part d’enseignant·es sont signalés par des élèves du lycée Victor-Hugo de Marseille. Le 20 mai 2022, une journée de mobilisation est initiée par des lycéennes qui portent le voile en dehors du lycée contre les discriminations islamophobes qu’elles subissent, à savoir des remarques sur leurs robes « trop longues » mais aussi des remarques stigmatisantes sur le fait qu’elles portent le foulard en dehors du lycée. Face à cette journée de mobilisation pour dénoncer ces discriminations, la seule réponse de la direction est de mettre la faute sur le personnel de la vie scolaire qui aurait « manipulé les lycéennes ». En effet, des AED ont signalé des propos à caractères racistes tenus par une professeure de l’établissement. Décidant d’ignorer les dénonciations des lycéennes et les signalements des AED, la direction de l’établissement décide de ne pas renouveler le contrat de trois des AED qui avaient dénoncé les propos racistes. Cette sanction arbitraire est en réalité le signe d’une répression féroce à l’égard des travailleur·euses dénonçant l’islamophobie dans l’établissement scolaire de Victor-Hugo. Suite à cette répression, les AED de Victor-Hugo décident de riposter dès le 16 juin 2022 en se mettant en grève et en appelant à un rassemblement devant le lycée. 

La chasse aux abayas dans les établissements scolaires

Les discriminations au lycée Victor-Hugo reflètent l’accélération des politiques racistes et islamophobes dans les établissements scolaires à Marseille et plus généralement en France. Après la loi de 2004, interdisant le port du voile dans les écoles, pour « respect de la laïcité républicaine », une circulaire est adoptée le 10 novembre 2022 relative au plan laïcité dans les établissements scolaires. Celle-ci, en se concentrant sur « le port de tenues manifestant ostensiblement une appartenance religieuse » ainsi que toutes celles « ne manifestant pas par nature une appartenance religieuse » permet aux chef·fes d’établissement et au personnel de juger les tenues des élèves et ainsi d’exercer en toute impunité de nombreuses discriminations sexistes et racistes. À partir de cette circulaire, les directions d’établissement demandent aux vies scolaires de refuser toute tenue qui pourrait s’apparenter à une tenue religieuse. Ainsi, à Marseille, de nombreux établissements se lancent dans une chasse aux abayas, robes traditionnelles des pays de culture musulmane. 

Les jeunes filles se retrouvent humiliées par des enseignant·es et la direction les contraint à retirer leurs robes longues si elles souhaitent fréquenter leurs établissements scolaires. Ces mesures discriminatoires et arbitraires s’abattent essentiellement sur les jeunes filles racisées portant le voile à l’extérieur de l’établissement scolaire. Selon les directions d’établissement, les élèves peuvent être renvoyées chez elles pour se changer, et d’autres contraintes à se déshabiller dans l’enceinte de l’établissement. Cette humiliation est permise et justifiée par un soi-disant principe de laïcité, toujours plus flou et entraînant des dicriminations violentes racistes et sexistes, un mal-être scolaire chez les élèves racisé·es, musulman·es ou supposées musulman·es selon leurs cultures et leurs pratiques vestimentaires. 

Ripostes lycéennes «Toutes en robes longue » et grève des AED dans un climat de mouvement social de 2023

Les élèves visées par cette circulaire ne se sont pas laissées faire face aux intimidations des directions d’établissement et de certaines personnes du corps enseignant. Des lycéennes directement visées par les discriminations sexistes et racistes au sein de leurs lycées se sont organisées et ont appelé à des journées « Toutes en robes longues », notamment au lycée Thiers, dans le centre-ville de Marseille. Durant le mouvement social contre la réforme des retraites de ce début d’année 2023, les lycées à Marseille ont été fortement mobilisés et ont fait preuve d’une forte combativité. Des collectifs et syndicats lycéens ont organisé des assemblées générales, des blocages, des départs communs en manifestation et des cortèges hyper dynamiques. Ce climat de prise de confiance politique a permis de renforcer la confiance des lycéen·nes dans leur capacité à faire de la politique et à lutter contre le racisme qu’elles vivent au quotidien. 

Le mouvement social a entraîné un fort niveau de conflictualité entre les grévistes et les directions et a permis de rendre visible les politiques répressives de certains établissements à l’égard de tous·tes celles et ceux qui luttent. Par exemple, au lycée Victor-Hugo, un AED très actif dans la lutte syndicale mais aussi dans la lutte antiraciste de l’année précédente, a été suspendu au début du mouvement des retraites. Cette expérience permet de montrer que les politiques racistes chez les directions d’établissement contre les lycéennes sont accompagnées de politiques anti-syndicales lors de mouvements sociaux. C’est toute une politique réactionnaire qui se met en place et contre laquelle nous devons toutes et tous lutter. Le soutien a été immédiat : la moitié des AED du lycée Victor-Hugo se sont mis en grève après avoir appris la suspension de leur collègue. La situation politique a amené les AED de Victor-Hugo à lutter à la fois contre le racisme, le sexisme, la répression anti-syndicale et nos conditions de travail. 

En mai 2023, la volonté de se battre réveillée par le mouvement social a poussé des AED de plusieurs établissements à organiser une réunion contre l’application des circulaires discriminantes, islamophobes et racistes. Cette première réunion a réuni le 11 mai plus de 30 AED d’établissements différents sur Marseille et a abouti à un appel à la grève ! Le succès de cette rencontre a été possible grâce à la réactivation du collectif AED13, créé deux ans plus tôt lors de la lutte pour l’obtention de la prime REP et pour la possibilité de titularisation des postes d’AED. Ayant pris une envergure nationale en 2021, cette lutte syndicale offensive a abouti à une victoire en demi-teinte pour les AED. Les revendications sur la prime REP ont été gagnées suite à la mobilisation. Par contre, la titularisation des AED exigée par la mobilisation a été remplacée par un CDI au bout de 6 ans, non obligatoire, et sans revalorisation salariale. 

À la suite de la réunion, les AED de Marseille ont donc décidé d’appeler à une journée de grève dès le 8 juin 2023. Après avoir fait un point sur les différentes situations de racisme et d’islamophobie envers les lycéennes, les AED ont écrit un communiqué liant la lutte contre l’islamophobie, le sexisme, la circulaire de 2022 aux conditions de travail précaires qui exposent les AED à davantage de répression. À la suite de cette réunion, le collectif AED13 a organisé des débrayages dans plusieurs établissements marseillais. Ces moments ont permis des discussions sur le racisme dans les lycées et sur l’islamophobie avec les Vies scolaires et la plupart des AED recensaient des cas de renvois et d’humiliation vis-à-vis de lycéennes portant des vêtements amples et des robes longues. 

Le 8 juin, les AED ont été une trentaine à être en grève contre l’islamophobie, le racisme et le sexisme dans les établissements scolaires. Malgré la pluie (premier facteur de démobilisation à Marseille), le collectif AED13 a rassemblé plus de 50 personnes devant le lycée Diderot, lycée dans lequel la totalité des AED étaient en grève ce jour-là. 

À la suite de cette mobilisation réussie, la répression a continué à s’abattre sur les AED après une action organisée à Victor-Hugo contre le proviseur et ses propos racistes. Deux AED ont été interpellés et placés en garde à vue. Le collectif AED13 a organisé une deuxième journée de grève et de mobilisation, avec un rassemblement cette fois-ci devant le lycée Thiers, pour continuer de lutter contre les discriminations racistes et islamophobes mais également dénoncer la répression qui s’abat sur les AED en lutte. Ce jour-là, beaucoup moins de grévistes sont présent·es, sûrement à cause de la peur de la répression mais aussi de la fin de l’année scolaire. De plus, la grève devient davantage complexe lorsqu’elle n’est plus inscrite dans un mouvement social et expose davantage les grévistes précaires à des renvois, des suspensions ou des non-renouvellements. 

Lutter contre l’islamophobie dans l’Éducation nationale, enjeux et difficultés

La lutte des lycéennes contre l’islamophobie et le racisme, suivie par la grève des AED a été exemplaire. Elle a permis d’exprimer un soutien concret auprès des lycéen·nes en lutte contre les discriminations, de réactiver des liens entre les AED de différents établissements, mais aussi de porter une grève sur des arguments politiques contre le racisme et l’islamophobie. Pourtant, au sein de l’Éducation nationale, trop peu de collègues, notamment du corps enseignant, ont soutenu cette lutte, ce qui a facilité les intimidations et la répression de la part de la direction. Ce manque de soutien peut s’expliquer par la peur de la répression, réelle, à l’en croire les non-renouvellements des AED et la suspension du camarade gréviste. 

Mais ce manque de soutien autour de la lutte contre l’islamophobie semble tenir une partie de son explication dans la difficulté à mobiliser aujourd’hui contre l’islamophobie dans l’Éducation nationale. Le principe de laïcité clive en ce qu’il vient se poser dans le discours public comme une garantie face à « l’oppression religieuse et de liberté de culte ». Pourtant, dans un État français où l’islamophobie prend une place de plus en plus inquiétante dans les discours politiques, médiatiques, les soi-disant « libertés » offrent des possibilités de répression de la population musulmane mais également de l’ensemble des personnes racisées ou prétendument musulmanes. 

Cette expérience de lutte montre ainsi la nécessité de continuer à s’opposer à l’humiliation des jeunes filles racisées, musulmanes ou prétendues musulmanes au sein de nos établissements scolaires. Car malgré un climat social extrêmement puissant contre la réforme des retraites, la question de l’islamophobie et du racisme opère un clivage dans la population et empêche l’unité de notre classe pour gagner face à Macron. En tant que travailleur·euses en lutte, il est nécessaire de soutenir les lycéen·nes qui se soulèvent contre les oppressions qu’ils et elles subissent de la part d’une institution qui semble les exclure en fonction de leurs habits, leurs coutumes ou leurs religions. Les lycéen·nes ont fortement contribué au rapport de forces contre la réforme des retraites, qui touche également les travailleur·euses, le personnel et les enseignant·es. En retour, nous devons les soutenir lorsqu’elles se battent contre les discriminations qu’elles subissent : lorsqu’une partie de notre classe se soulève, notre place c’est d’être à leurs côtés ! 

Anouk, Marseille
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