Construire l’antiracisme dans le mouvement “Bloquons-tout” : La grève politique est possible ! 

Le mouvement “Bloquons tout” et la journée du 10 septembre dernier ont été l’occasion d’une mobilisation antiraciste d’une ampleur inédite à Toulouse. L’initiative s’est construite autour d’une grève dans plusieurs centres d’hébergement pour demandeur·se·s d’asile. Elle a permis de rassembler largement au-delà du secteur social et de porter clairement la nécessité d’une grève politique antiraciste, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives pour les luttes à venir.

Les Cahiers d’A2C #19 – novembre 2025

Cette mobilisation est une réponse à une offensive gouvernementale méthodique contre les droits des personnes exilées et contre les moyens du secteur social. Ce sont les attaques contre le système d’accueil des demandeur·se·s d’asile en France qui ont poussé les travailleur·se·s sociaux·les à la grève.

Les demandeur·se·s d’asile ont le droit de rester sur le territoire français pendant l’examen de leur demande et ne sont donc pas en situation irrégulière. Pourtant, iels n’ont pas le droit de travailler et ne peuvent bénéficier des aides sociales comme le RSA.

Pour compenser ces restrictions, iels sont censé·e·s percevoir une allocation spécifique, l’ADA (environ 200 € par mois pour une personne seule), et bénéficier d’un hébergement pris en charge par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), organisme du ministère de l’Intérieur chargé notamment de la gestion de l’accueil des demandeur·se·s d’asile.

Mais dans la réalité, environ la moitié des demandeur·se·s d’asile ne sont pas hébergé·e·s par un dispositif de l’OFII. Un tiers d’entre elleux se retrouvent même privé·e·s à la fois d’hébergement et d’allocation. Résultat : des milliers de personnes sans ressources sont contraintes de dormir à la rue, dans des campements ou dans des dispositifs d’hébergement d’urgence de droit commun déjà saturés.

La situation s’est encore dégradée avec les mesures d’austérité du budget 2025. Près de 3000 créations de places prévues ont été annulées et 6 500 places existantes supprimées. Au total, la capacité d’hébergement de l’OFII a diminué d’environ 10 %, pour une économie dérisoire de moins de 70 millions d’euros.

Face à la suppression de ces 9 500 places, la contestation a été quasi inexistante. La Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), présidée par Pascal Brice (ancien directeur de l’OFPRA) et qui regroupe les principales associations gestionnaires en lien avec l’OFII, s’est contentée d’une tribune dénonçant une politique publique inefficace. Il n’y a pas non plus eu de réaction syndicale significative pour contester ces mesures au moment de l’adoption du budget.

Une politique d’expulsion systématique

Les centres d’hébergement pour demandeurs d’asile, financés par l’OFII, sont gérés par des associations qui répondent à des appels d’offres en concurrence les unes avec les autres. Ces centres ne sont pas exclusivement occupés par des demandeur·se·s d’asile : on y trouve aussi des réfugié·e·s, qui ont obtenu une réponse positive à leur demande et attendent un relogement, ainsi que des personnes déboutées, désormais sans papiers.

L’OFII exige le départ des personnes sans papiers dans un délai d’un mois. Jusqu’ici, les travailleur·se·s sociaux·les tentaient de retarder ces sorties tant qu’aucune solution alternative n’était trouvée, refusant les « sorties sèches » – autrement dit : à la rue. Mais dans le contexte de restrictions budgétaires, l’OFII a intensifié la pression pour expulser les sans-papiers des centres. Des directeur·rice·s de structures ont été convoqué·e·s et sommé·e·s de mettre fin aux « présences indues ». La menace était claire : la fermeture du centre en cas de non-exécution.

Ces menaces sont devenues réalité. Deux centres d’hébergement pour demandeur·se·s d’asile ont déjà été fermés à Toulouse, jugés trop lents à engager des mesures d’expulsion. Depuis, pour répondre aux injonctions de leur financeur, de nombreuses associations ont multiplié les expulsions dans leurs centres. Les travailleur·se·s sociaux·les se sont retrouvé·e·s sous pression pour inciter les sans-papiers à quitter leur hébergement, alors qu’une expulsion forcée relève normalement d’une décision de justice.

Cette politique de l’OFII s’inscrit dans une dynamique plus large, portée par les préfectures, visant à expulser les sans-papiers de tous les dispositifs d’hébergement, y compris ceux d’urgence. C’est une logique d’acharnement contre les personnes étrangères, et en particulier les sans-papiers.

La construction d’une mobilisation unitaire

Dans ce contexte, nous avons été quelques militant·e·s syndicaux·les à argumenter que toutes ces attaques contre le secteur social répondaient à une logique à la fois austéritaire et raciste. La date du 10 septembre, avec ses mots d’ordre plus radicaux que ceux des directions syndicales ou associatives, a alors rencontré un écho important parmi les travailleur·le·s sociaux·les.

C’est dans ce contexte que la section SUD de l’UCRM, l’une des plus grandes associations du secteur social à Toulouse, a lancé un appel à la grève. Un communiqué unitaire contre les expulsions a été partagé. Cet appel a permis de rassembler largement, avec notamment les jeunes mineur·e·s isolé·e·s d’Autonomie à Toulouse et de la Caselle à Albi, le DAL, Utopia 56, l’AG social en lutte 31. L’appel a aussi été signé par plusieurs partis politiques.

Nos interventions dans les AG “Bloquons tout” n’ont pas trouvé l’écho attendu, mais le 10 septembre, les deux centres d’hébergement pour demandeur·se·s d’asile de l’UCRM étaient en grève, rejoints par plusieurs autres centres.

La mobilisation s’est concrétisée par le plus important rassemblement de la matinée sur la ville, avec 400 personnes réunies devant la préfecture. Cela a été l’occasion de prises de parole de jeunes mineur·e·s isolé·e·s, de travailleur·se·s sociaux·les, de militant·e·s associatif·ve·s et syndicaux·les. Le propos était clair sur la réquisition des logements vides, la nécessité de la grève politique et contre le racisme d’État.

La mobilisation s’est poursuivie l’après-midi avec un important cortège antiraciste où les jeunes mineur·e·s isolé·e·s et les travailleur·se·s sociaux·les ont été rejoints notamment par le comité Palestine, le Secours rouge et le CVJ pour Bilal.

Perspective de lutte

La réussite de cette journée de mobilisation sert aujourd’hui de base pour construire la lutte contre les politiques racistes et austéritaires du gouvernement. L’AG social en lutte 31 s’est donnée pour objectif de construire la grève du 16 au 18 appelée par les rencontres nationales du travail social en lutte.

La nécessité de lier la lutte du secteur social à la lutte antiraciste est de plus en plus entendue. Les OQTF (obligations de quitter le territoire français) sont désormais systématiquement délivrées à toute personne déboutée de l’asile. Le délai de présence en France nécessaire pour une régularisation d’une personne sans papiers est passé de 5 à 7 ans, et celle-ci est conditionnée à des preuves d’emploi déclaré – une exigence absurde, puisqu’ils n’ont pas le droit de travailler. La menace d’une suppression de l’AME (Aide médicale d’État) plane toujours.

Toutes ces attaques racistes frappent de plein fouet les personnes exilées. Les travailleur·se·s sociaux·les ne sont pas les premier·e·s touché·e·s mais les premiers témoins de ces violences sociales et racistes. Nous nous retrouvons alors dans des situations absurdes, censées accompagner dans l’accès aux droits des personnes qui, dans les faits, n’en ont plus aucun.

De plus en plus de travailleur·le·s sociaux·les se retrouvent malgré elleux à devenir maltraitant·e·s et un rouage du racisme d’État. Face à cela, il est essentiel de politiser nos luttes et de les inscrire dans un cadre clairement antiraciste. C’est sur cette base que l’AG social en lutte 31 a rejoint l’appel de la marche des solidarités pour construire la grève antiraciste du 18 décembre et exiger la régularisation de tous les sans-papiers.

La mobilisation du 10 septembre à Toulouse a démontré qu’une grève antiraciste est possible et efficace. Le 18 décembre, amplifions le mouvement : convergeons massivement dans la grève et dans la rue pour imposer la régularisation de tous les sans-papiers et faire reculer le racisme d’État !

Hugo (Toulouse)