
“Les mouvements petits bourgeois ne deviennent fascistes que lorsqu’ils apparaissent à un stade précis de la lutte de classe et y jouent un rôle spécifique. Ce rôle n’est pas seulement de mobiliser la petite bourgeoisie, mais d’exploiter l’amertume qu’elle éprouve face à ce que la crise aiguë du système lui fait subir et de la transformer en bandes de brutes prêtes à servir le capital dans son entreprise de destruction des organisations ouvrières.” (Le Prophète et le Prolétariat, Chris Harman, 1994).
De nombreux débats à gauche ont porté sur la caractérisation de Donald Trump. Le problème est de savoir si le Trumpisme est fasciste ou non car c’est de lui que découle les rythmes de généralisation de la barbarie. Pour la classe ouvrière américaine, c’est de ses capacités même de lutte et de résistance dont il est question.
Les Cahiers d’A2C #17 – juin 2025
Nous mettons en débat ici deux positions : la première consiste à penser que la victoire de Donald Trump serait le résultat d’une option prise par les trusts capitalistes financiers ou du secteur de la technologie de pointe, dont la crise les pousserait à désirer un pouvoir plus autoritaire, raciste et nationaliste. En reprenant à son compte la théorie de la fascisation, cette caractérisation de la victoire de Trump induit que le fascisme serait une réponse endogène dans la panoplie stratégique dont la bourgeoisie dispose en période de crise.
La seconde caractérisation ici débattue se fonde sur une vision plus restreinte du fascisme – en reprenant à raison la théorie du fascisme historique – elle dénie au Trumpisme un caractère fasciste . Nos camarades de Marx 21 US déclarent par exemple en décembre 2024 : “Ce ne sera pas une administration républicaine conventionnelle, mais nous ne vivons pas non plus sous le fascisme.”1
Le Trumpisme est un mouvement de la petite-bourgeoisie
La base sociale qui a favorisé son accès au pouvoir est la petite bourgeoisie. Il a souvent été mis en avant que les 3 millions de voix supplémentaires gagnées par Donald Trump en 2024 étaient issues des travailleurs sans diplôme et habitant les états de la Rust Belt, autrement dit, des états ravagés par le chômage et la désindustrialisation. Des franges de la classe ouvrière des USA ont basculé vers le vote Trump. Cependant, Trump a été élu avec moins d’un tiers de la population exploitée des USA.
C’est du côté de la petite bourgeoisie qu’a surgit le sursaut et la seconde victoire Trumpiste. Le niveau de diplôme est souvent utilisé par les analystes comme baromètre pour décrypter l’électorat de Trump. Cette donnée pose un biais si on l’on cherche à analyser le succès de Trump sur une base de classe. La moitié des chefs d’entreprise aux États-Unis ne sont pas diplômés de l’enseignement supérieur, en particulier les petits entrepreneurs – la base petite-bourgeoise classique du fascisme – et la base MAGA de Trump.
Trump a remporté la majorité des voix chez les électeurs gagnant moins de 50 000 dollars par an. Une analyse du Financial Times a révélé que, pour la première fois, les démocrates et la candidate K. Harris ont reçu davantage de soutien de la part des électeurs du tiers supérieur de la tranche de revenus que de ceux du tiers moyen ou inférieur. Cela devrait suffire à attester d’une rupture essentielle : Trump n’était en rien le candidat des financiers de Wall Street ou de la majorité des grands capitalistes. Il a gagné les élections en convaincant une large diversité de la petite-bourgeoisie américaine de l’option ultra nationaliste et raciste de sa politique.
Le Trumpisme consiste à mettre en mouvement la petite bourgeoisie
Un événement fondamental peut permettre de différencier le premier mandat de Trump du second : l’attaque du capitole le 06 janvier 2021 par des dizaines de milliers de nervis de la haine raciste, masculiniste et complotiste de la petite bourgeoisie américaine. R. Paxton, historien du fascisme et du régime de Vichy déclare suite à cela : “L’incitation de Trump à envahir le Capitole le 6 janvier 2020 dissipe mon objection à l’étiquette de fasciste”.

Et pour cause, durant les 4 années suivant cette attaque, ces forces n’ont cessé de prendre de l’importance au sein du mouvement MAGA. Les nervis qui se sont attaqué au Capitole sont largement influencés par Banon ou Duke. Ces miliciens sont organisés parmi les Proud Boys, au Ku Klux Klan ou dans des milices de ranchers au Texas.
Ces forces politiques ont des origines diverses, des rythmes de développement inégaux et leur influence reste assez faible sur un territoire aussi vaste que l’Europe Occidentale. Elles incarnent l’expression d’une haine raciste contre l’ennemi intérieur qui causerait une déchéance de nation. La stratégie demeure la mise en mouvement de forces armées qui commettent des crimes racistes, parades dans les rues, se réfèrent explicitement tantôt au nazisme, tantôt aux dignitaires ségrégationnistes des USA.
Avant la construction du mouvement MAGA elles n’étaient pas unifiées, sans chef capable de les unir à des objectifs politiques permettant de faire “corps”. Avant la construction du mouvement MAGA, ces organisations fascistes peinaient à sortir de la marginalité.
Suite à l’attaque du Capitole, et à l’investiture de la candidature démocrate incarnée par Joe Biden en 2021, le mouvement MAGA s’est replié sur ces milices fascistes, et pour beaucoup armées. Et ce, parce que c’était les forces les plus à même de résister à l’adversité que tentait de lui imposer Joe Biden.
Les saluts nazis des porte-paroles de Donald Trump, ou les grâces judiciaires de leader des Proud Boys comme Enrique Tarrio, ne sont pas des gestes incontrôlés, ou liés à une précipitation causée par l’instant. Ils reflètent la nécessité pour la Direction du mouvement MAGA de donner une légitimité à son aile la plus marginalisée, à savoir ses milices armées et criminelles.
Indépendamment des franges les plus marginalisées du mouvement MAGA, Trump n’a pas simplement conquis le pouvoir par les cadres traditionnels du Parti Républicain. Par le mouvement MAGA ou Trump Vance, il a mené une politique au cœur de la petite bourgeoisie. Pour cela, Donald Trump a organisé des Rallyes, des meetings en plein air, parfois mouvants, et ce, sans discontinuer depuis près de 10 ans, le premier ayant été organisé dans la foulée du lancement de sa campagne présidentielle, en 2015. Il a continué à en tenir régulièrement pendant sa présidence (2016-2020), après sa défaite face à Joe Biden en 2020 et pendant la campagne de 2024.
Trump n’a donc pas gagné une victoire électorale classique du Parti Républicain. Des organisations traditionnelles du fascisme ont pu occuper une place aussi inédite que prépondérante dans la victoire électorale. Aujourd’hui, elles ont leur candidat qui dirige la première puissance impérialiste mondiale.
Tension et contradictions inhérentes à l’arrivée du fascisme au pouvoir
L’accession au pouvoir d’un candidat fasciste n’implique pas nécessairement la généralisation du fascisme au sein de l’ensemble de la société. En grande partie, cette généralisation dépend plutôt du niveau de décantation de la crise et des impératifs des capitaux industriels. Pour arriver au pouvoir les fascistes doivent avoir une force extérieure à celle de la bourgeoisie traditionnelle, et en même temps ils doivent composer avec les règles de la droite capitaliste classique.
C’est cette tension qui a finalement poussé Trump à se distancier de Banon ou de Duke sur la fin de la campagne présidentielle de 2024. Pour arriver au pouvoir, il dû prendre ses distances avec les franges les plus violentes du mouvement MAGA… autant qu’il a eu besoin de leur soutien pour enrégimenter des forces militantes dans la continuité.
Gaël, Montreuil
- « The 2024 US Elections », Décembre 2025, Marx 21 US ↩︎