
Aboubakar Cissé, 22 ans, a été assassiné de 57 coups de couteau, samedi 25 avril, dans la mosquée de La Grand-Combe dans le Gard. Sa famille a réclamé que la justice considère ce crime comme « attentat terroriste » et insisté sur le racisme et l’islamophobie qui ont motivé l’assassin. Nous réclamons la justice et la vérité à leurs côtés et aux côtés de toutes celles et ceux nombreu·x·se·s qui à travers les rassemblements et manifestations qui ont suivi, ont démontré par leurs hommages et leur colère, la volonté d’un nombre grandissant de personnes de s’organiser pour ne plus reculer.
Mais la justice et la vérité ne seront pas entières avec la seule condamnation de celui qui a donné les coups de couteau. Il y a d’autres coupables : les hommes, les femmes et les organisations qui développent les discours et passent les lois qui font des musulman·e·s, des immigré·e·s avec ou sans-papiers des menaces pour la société, des dangers à combattre, des cibles à abattre.
Retailleau, Darmanin, Valls, … coupables et commanditaires
Une partie d’entre eux et elles était réunie à Paris mercredi 26 mars au Dôme de Paris dans une soirée intitulée « Pour la République, la France contre l’islamisme ! ». Comprendre « soirée “républicaine” contre les musulmans et les Palestiniens »1 organisée par des sionistes, des racistes, un milliardaire catholique intégriste d’extrême droite en présence de 2 ministres du gouvernement, Valls et Retailleau. Ce dernier terminant son discours par « À bas le voile ! ».
Ceux-là, accompagnés de Darmanin et d’autres, ne sont pas juste coupables, ce sont aussi les vrais commanditaires, tant chacun d’entre eux emploie toute son énergie à imprimer dans la tête de tou·te·s que le problème dans la société ne serait pas les inégalités, mais plutôt les personnes comme Aboubakar Cissé, musulman, immigré et sans-papiers. C’est le sens du rapport contre les Frères Musulmans de Darmanin et de sa récupération actuelle par Retailleau pour justifier les prochaines attaques de l’État contre les musulman·e·s.
L’État va continuer de répondre par la répression et l’autoritarisme. Les menaces de dissolution visant Urgence Palestine et la Jeune Garde révèlent une volonté claire : désarmer politiquement toute opposition antiraciste de classe, toute solidarité internationale. Cette stratégie vise à isoler, réprimer et diviser les forces sociales susceptibles de riposter au pouvoir ici de mener leurs guerres là-bas.
Pour toutes ces raisons, la faible implication des grandes organisations politiques – en dehors de LFI – et syndicales sur le front antiraciste est alarmante. Rappelons-nous les conséquences de l’absence de mobilisation quand Darmanin avait dissous le CCIF en 2021 : elle préparait les dissolutions à l’œuvre aujourd’hui. C’est pourquoi la riposte dès maintenant la plus massive possible est indispensable : il nous faut organiser la solidarité partout et notamment autour des mosquées pour empêcher les attaques islamophobes de demain.
Une autre politique que les directions traditionnelles du mouvement
Partout dans le pays, de très nombreuses sections ou groupes d’une ville, d’un département, d’une région, des différentes grandes organisations politiques et syndicales participent activement à organiser la lutte contre le racisme et pour l’égalité des droits, contre le fascisme, en solidarité avec la Palestine. Très souvent sur des bases beaucoup plus affirmées que leurs directions.
Dans une situation où nous allons devoir de plus en plus organiser nos mobilisations à une échelle nationale pour atteindre le rapport de force requis, la critique des directions syndicales et politiques actuelles continuera d’être nécessaire mais deviendra néanmoins de plus en plus insuffisante. Il nous faut aller plus loin et se poser la question de savoir comment le mouvement par en bas peut imposer une autre politique en se donnant les moyens de mener des tests à des échelles suffisantes pour incarner une alternative stratégique crédible.
Cette tâche est en réalité double : la capacité de cette autre politique à émerger dépendra de l’ampleur du mouvement et inversement l’ampleur du mouvement dépendra de la politique qui en aura émergé. Dit autrement, il nous faut construire et encourager l’émergence de réseaux d’activistes, de collectifs, de sections syndicales etc qui soient à même de proposer des stratégies alternatives aux directions politiques et syndicales actuelles mais aussi de convaincre un maximum de personnes sur ces bases.
Or l’idée que le pouvoir se construit par en bas, dans l’action, dans la confiance dans nos propres forces, dans l’élaboration de stratégies pour gagner, est à rebours de tout ce qui domine le champ politique, et cela pèse sur la situation. Il va donc forcément y avoir des flux et des reflux importants et il nous faut garder des caps. Cette dernière séquence le démontre. Elle a été riche de mobilisations pour faire face aux attaques incessantes de la classe dirigeante. Que l’on pense au 8 mars et la démonstration de force face à Nous vivrons et Némésis ; au 22 mars historique contre le racisme et le fascisme ; au 1er mai parisien et son cortège antiraciste et anti-impérialiste plus massif que nombre de cortèges syndicaux : notre classe répond présente et est déterminée à se défendre.
Pour autant, en dépit de nombreuses luttes vivantes et vaillantes, celles-ci sont restées fragmentées, sans continuité organisationnelle ni cadre politique commun. Bien que conséquentes, elles ne signifient pas une augmentation mécanique des capacités d’auto-organisation de notre classe : nous peinons à accumuler les forces suffisantes pour gagner.
Construire nos boussoles
Ce constat, loin d’être défaitiste, nous invite à se reposer les questions de stratégie. Et pour ce faire, nous considérons que le marxisme est une boussole. Loin d’être une doctrine figée, il nous aide à comprendre le monde pour le transformer. Il permet d’articuler l’analyse de classe avec les oppressions spécifiques et de penser la stratégie révolutionnaire non pas comme une stratégie à long terme mais comme un guide pour l’action dans le mouvement et pour le mouvement. Par ailleurs, pour nous qui pensons qu’une révolution est le soulèvement collectif et actif de millions d’entre nous et non le soutien passif à des « chefs », le partage permanent des expériences et des débats à l’échelle la plus importante possible afin de tirer les bilans de nos actions est indispensable à cette élaboration stratégique.
C’est donc sur ces bases que nous pensons important de débattre entre militant·e·s syndicales, de collectifs, de réseaux de solidarité, etc. et que nous proposons un week end ouvert à toutes et tous le samedi 28 et le dimanche 29 juin à Paris : le festival Boussoles.

Nous souhaitons y discuter des éléments saillants de la période politique dans laquelle nous nous trouvons et essayer de défaire les nœuds qui se posent à nous tou·te·s qui intervenons dans le mouvement : quel rôle le syndicalisme peut jouer dans la lutte contre les oppressions ou face à la guerre ? La grève est-elle encore un moyen efficace pour créer du rapport de force ? Doit-on faire avec l’État ou le détruire ? La classe ouvrière du Nord tire-t-elle profit de l’exploitation du Sud ? Quelles sont les spécificités de la lutte antifasciste? Autant de questions et bien d’autres encore qui nous paraissent nécessaires à aborder ensemble afin d’élaborer ce qui nous permettra de gagner. Car la situation actuelle nous oblige plus que jamais.
Le génocide en Palestine qui continue, l’assassinat islamophobe de Aboubacar Cissé, les attaques et présences répétées de fascistes contre les mobilisations et actions de notre camp, les lois et discours contre les immigré·e·s et les musulman·e·s, la répression et l’autoritarisme de l’Etat, la course à l’armement, le développement du nationalisme les velléités guerrières qui ne cachent plus leur nom : l’affrontement entre les blocs de capitaux s’accélère chaque jour un peu plus et son dénouement ne sera jamais en notre faveur si nous ne parvenons pas à interrompre le cours de l’histoire.
Il y a urgence, c’est une certitude. Parce que les raisons de renverser le système se font de plus en plus graves et nombreuses, il nous faut nous organiser pour riposter à la situation actuelle et le faire de sorte à devenir plus fort pour les combats de demain : nous devons construire ce qui nous permettra de gagner in fine. Le chemin sera long et semé d’obstacles. Il nous faut donc, à chaque étape, façonner collectivement les pavés sur lesquels notre foule devra pouvoir passer, car notre nombre sera déterminant. Mais des pavés solides, sur lesquels nous ne nous tordrons pas les chevilles au 1er kilomètre parcouru ensemble.
Ce chemin est le seul que nous pouvons raisonnablement emprunter: celui de la révolution. En mémoire d’Aboubakar, pour nous tou·te·s, il nous faut tout renverser !
A2C2