Gilets Jaunes: symptômes et accélérateurs de la crise du pouvoir

Avant même l’émergence du mouvement des gilets jaunes, il existait un consensus pour désigner Macron comme le président des riches. Un an au pouvoir ont suffit à Macron, présenté par la presse libérale comme un sauveur, afin de briser le record d’impopularité d’un président sous la 5e république. Avec moins de 20% d’opinions favorables, il a pulvérisé les chiffres de François Hollande qui avait lui-même dépassé les records de Sarkozy. Ces dix dernières années, la France a vu trois président se succéder, chacun inaugurant de nouveaux records d’impopularité.

Derrière ces statistiques se cache une contestation et une polarisation profonde en France. D’un côté, on a vu ces dernières années un regain des luttes à gauche, avec des grèves, des manifestations, des mouvements étudiants, lycéens, le mouvement Nuit Debout, ainsi que l’émergence d’organisations antiracistes. A l’opposé nous voyons une polarisation vers la droite. Le score de Marine Le Pen aux dernières présidentielles suffit à illustrer ce fait.

Le mouvement des gilets jaunes naît donc sur ce terrain national. Il s’agit surtout d’un mouvement de la classe ouvrière, c’est-à-dire de personnes n’ayant que leur force de travail à vendre. Ces personnes peuvent être salariées, au chômage, retraitées, ou encore jonglant entre deux ou trois emplois précaires pour remplir le frigo. Toutes et tous disent, en substance, deux choses: elles n’ont pas assez d’argent à la fin du mois, et elles détestent Macron et souhaitent son départ. Derrière l’unité formée autour de ces deux généralités, il peut exister beaucoup de contradictions.

Si la majorité des participant-e-s appartiennent à la classe ouvrière, ce mouvement s’est formé et se développe en dehors des organisations syndicales et politiques de la classe. La tendance est clairement à des personnes non-syndiquées, vivant souvent loin des plus grandes villes, et travaillant dans des petites entreprises.

Les mobilisations les plus massives ont lieu sur Paris, mais le mouvement reste fragmenté sur le territoire national. La majorité des participant-e-s au mouvement des gilets jaunes se trouvent sur des rassemblements de centaines de personnes formant des barrages filtrants sur les axes routiers ou en dehors des grands centres commerciaux de province. Des milliers font des blocages en semaine avant de converger sur une grande ville le weekend.

Nous faisons donc face à un mouvement très inégal auquel correspondent des idéologies tout aussi inégales et contradictoires. Des centaines de milliers de personnes se mettent en mouvement en utilisant des symboles inhabituels voire irritants pour la gauche et le mouvement ouvrier, comme le drapeau tricolore ou la marseillaise, ou encore avec une vision de la police et de l’état que nous rejetons. De plus, de nombreux activistes d’extrême-droite tentent de récupérer le mouvement sur les réseaux sociaux et sur le terrain, ainsi que dans les médias. Il faut aussi noter que ces tentatives ont été explicitement contrées en de nombreux endroits.

Les gens entrent donc en action avec des idées de sens commun, qu’ils et elles ont pu accepter de manière non-critique par le passé, mais qui peuvent entrer en contradiction ce qu’ils et elles font lorsqu’elles enfilent le gilet jaune.

La gauche ne peut pas rester les bras croisés

Suffit-il de rejoindre le mouvement en marche, sans vraiment essayer de l’influencer politiquement, évitant soigneusement d’aborder des sujets “sensibles” comme –entre autres- les frontières et le racisme? Alors que nous tenons une opportunité historique pour influencer une partie de notre classe à laquelle l’accès nous est, d’ordinaire, fermé! Ne pas tenter d’influencer les gilets jaunes, ne pas polémiquer, ne pas faire de politique dans ce mouvement revient à renoncer à jouer un rôle transformateur dans l’histoire, pour se contenter de celui de la bouée de balisage qui monte avec les vagues et descend avec les creux.     

Mais des sections de la gauche radicale et du mouvement ouvrier comprennent que nous devons intervenir avec nos idées et nos arguments propres, en amenant notre politique dans le mouvement.

Pourquoi? Car de nombreuses gilets jaunes sont influençables. Il suffit d’écouter les témoignages des participant-e-s au mouvement, pour nous rendre compte que les gilets jaunes c’est aussi, pour des centaines de milliers de personnes, une école pratique de la vie et des idées. Elles sont notamment en train de découvrir le rôle véritable de la police comme protectrice des riches, des dominants.

Une autre idée préconçue que certains gilets jaunes peuvent avoir est celle de l’inutilité du mouvement ouvrier et des syndicats. Mais d’autres demandent, depuis le début, l’intervention des syndicats et notamment de la CGT pour faire le poids face à Macron. Il y a des convergences locales entre des gilets jaunes et des sections syndicales combatives, sur les barrages ou dans les manifestations, sous le slogan de “gilets jaunes et gilets rouges ensemble”.

Pour une intervention antiraciste

S’il y a une autre leçon à tirer du mouvement de ces dernières années, c’est que les périodes de lutte ne font pas disparaître le racisme automatiquement. Tout au plus ces périodes créent des conditions plus favorables aux antiracistes. Il faut lutter activement, virer l’extrême-droite sous toutes ses formes et adresser notre message contre le racisme, l’islamophobie et la fermeture des frontières au plus grand nombre. L’objectif n’est pas uniquement de “purifier” le mouvement des gilets jaunes, il s’agit d’une question stratégique car il est évident que la classe dirigeante aura recours au racisme et à l’islamophobie, pour diviser le mouvement actuel et pour contre-attaquer.  

Quant au référendum d’initiative citoyenne demandé par de nombreuses gilets jaunes, il constituerait, s’il a lieu, une concession arrachée par la lutte. Afin qu’il ne se transforme pas en piège réactionnaire, l’intervention de notre camp y est nécessaire. D’abord pour avancer nos idées dans le débat et contrer les fascistes et les macronistes. Mais aussi pour rappeler que rien ne remplacera l’organisation par en-bas, condition de l’autonomie politique de notre classe.

Le président “novateur” mise sur la recette classique de répression sauvage dans la rue, d’intimidations et de menaces de mort à peine voilées, après avoir offert  des concessions ridicules aux gilets jaunes.

Que l’arrogant Jupiter n’ait plus que la carte de la répression montre l’étendue de son désarroi politique. Les gilets jaunes semblent avoir ravivé les foyers de lutte de ces dernières années, comme les universités, les lycées, et de nouveaux secteurs doivent rejoindre cette protestation généralisée. Sans le savoir, les gilets jaunes ont soufflé sur les braises de la rébellion de certaines sections syndicales contre leurs bureaucraties conservatrices.

Le mouvement continuera-t-il à s’étendre par en-bas? Le mouvement des gilets jaunes qui a tiré des centaines de milliers de membres de notre classe de l’ombre pour les faire entrer sur la scène historique annonce-t-il une crise terminale pour le quinquennat Macron, et une période de grand danger pour la classe dirigeante dont le banquier est l’une des dernières cartes?

Jad Bouharoun

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