Retours d’expérience de ripostes antifascistes locales

« Depuis 1942, les salauds sont toujours là ». Maurice Rajsfus dressait cette réalité il y a 32 ans, dans une interview publiée dans Rouge, le journal de la LCR. 50 ans après la rafle du Vel d’Hiv, ce révolutionnaire devenu orphelin par la Shoah, voyait dans le développement du FN de l’époque, la principale nécessité de la continuité du combat antifasciste. Aujourd’hui ce parti est donné premier aux élections européennes et les milices fascistes multiplient attaques et démonstrations. Heureusement, notre camp réagit lui aussi. A Saint-Brieuc et à Paris par exemple, l’antifascisme vit et se construit. Retours d’expériences de camarades impliqué·es dans ces dynamiques.

Les Cahiers d’A2C #13 – juin 2024

Breizh enepfaskour !

Dans les Côtes d’Armor (22), depuis plus d’un an, les fachos sont en roue libre. Leur victoire contre l’installation de familles exilées à Callac leur a donné la confiance et leur a permis de se rencontrer. Depuis, ils multiplient les violences : agressions à la barre de fer, tentative d’incendie d’une mosquée, attaque en bande organisée du festival Bretagne ouverte et solidaire, dégradations de locaux, agressions de militant·es, menaces de mort…

Ces attaques ont d’abord suscité des réactions isolées : des conférences de presse et communiqués de soutien.

En automne 2023, le local La Serre à Saint-Brieuc, un lieu de solidarité (cantine populaire hebdomadaire), un espace de soutien aux luttes et un espace utilisé par plein de collectifs (jardinage, chorale, mais aussi antifascistes, queer), subit une série d’attaques. A 3 reprises, sa façade a été repeinte avec des slogans néo-nazis. Il y a eu plusieurs tentatives d’intrusions. La pression est encore montée d’un cran quand, un soir de novembre, 3 individus ont défoncé la porte du local à la barre de fer et ont agressé physiquement les 5 personnes présentes.

L’action a choqué et a entraîné une couverture médiatique conséquente. Avec quelques personnes actives à La Serre et au CVA 22 (collectif de vigilance antifasciste 22, un collectif bien implanté localement qui travaille depuis des années), on a voulu transformer la peur et la colère en un carburant pour l’action.

Création du Front commun antifasciste

On a contacté des orgas avec qui on a l’habitude de s’organiser et d’autres qui étaient selon nous concernées par la lutte contre l’extrême-droite : Espaces de solidarités, syndicats, collectifs féministes, collectifs queers, écolos, antifascistes… 

La répétition d’attaques violentes dans le département a rendu palpable l’existence du danger fasciste et a favorisé l’idée d’une unité d’action large pour le contrer. La plupart des organisations contactées pour initier ce front ont accepté directement. Certaines ont hésité ou refusé, doutant notamment de l’intérêt de recréer un espace d’organisation en plus du CVA 22 et de VISA. 

On s’est retrouvé à une vingtaine de personnes (majoritairement anticapitalistes) pour une première réu très encourageante. On a décidé d’appeler à la création d’un front commun antifasciste à l’échelle du département. 

On a évoqué plusieurs objectifs:

– Se redonner de la force, se sécuriser : sortir de la sidération en réagissant collectivement. Sortir de l’isolement les orgas ciblées et les inscrire dans un mouvement large qui puisse réagir de manière conséquente.

– Créer un espace ouvert pour que l’antifascisme ne soit plus la mission exclusive de collectifs antifas mais soit porté largement. Concrètement, notre texte d’appel ne posait pas l’anticapitalisme comme condition mais insistait quand même sur la responsabilité des politiques de casse sociale dans la progression de l’extrême-droite. Pour les orgas, on acceptait tout ce qui était à gauche de la macronie pour rester ouvert sans pour autant perdre notre temps avec des personnes qui préparent le terrain pour les fascistes. 

– Faire connaître le danger fasciste1 et faire le lien entre extrême-droite cagoulée et extrême-droite en costard2. Rediaboliser le RN pour l’empêcher d’étendre sa base sociale.

– Relégitimer la lutte antifasciste et la faire exister dans l’espace public.

Pour la première réunion publique, on était plus de 100 personnes dans une salle municipale comble. L’enthousiasme était palpable.

Deux groupes se constituent : un pour réfléchir sur l’autodéfense collective, qui proposera plusieurs rendez-vous réguliers, et un sur l’organisation d’évènements, qui organisera deux projections et sera mobilisé sur l’organisation d’une manifestation le 21 avril 2024.

Une vingtaine de personnes se sont réunies tous les mois de mi-décembre à mars puis de manière plus régulière à l’approche de la manifestation. Un des succès a été de mobiliser des néo-militantes, mais ça a contribué aux difficultés d’organisation rencontrées. Ainsi, un retard dans la communication a sûrement impacté la mobilisation à l’échelle locale.

La manifestation du 21 avril

On a choisi cette date pour faire écho aux mobilisations massives de 2002 quand Le Pen accédait pour la première fois au second tour, et aussi pour faire écho à la marche contre le racisme qui avait lieu le même jour à Paris. Avec cette manifestation, nous voulions montrer que « tout le monde déteste l’extrême-droite » et convaincre que la lutte antifasciste est l’affaire de toutes et tous. Ce sont 90 organisations qui ont y ont appelé et parmi les signataires, on trouve des boulangeries, une asso de réparation de vélo, une librairie, des kebabs, un collectif de lutte contre le gaspillage… La préparation a permis d’occuper l’espace public de ouf (nombreux tractages, collages) à St-Brieuc mais aussi dans d’autres villes du 22 et de Bretagne car d’autres camarades se sont saisi·es de l’initiative. Cela a permis de renforcer les liens à l’échelle régionale. La manifestation a mobilisé 2000 personnes. C’est énorme, quand on voit les difficultés à mobiliser d’habitude sur ces questions. Mais c’est aussi très peu, comparé aux manifs de 2002 qui avaient réuni 10 000 personnes à Saint-Brieuc. Le cortège était particulièrement festif et animé mais il y avait au final beaucoup de militant·es venues de toute la Bretagne et trop peu, selon nous, de personnes du coin non-organisées politiquement.

Suite à nos mobilisations, les attaques et dégradations ont cessé pendant plusieurs mois. En avril, un colleur d’affiche de LFI a néanmoins été agressé physiquement et l’entrée de La Serre taguée. 

Après une longue impunité, les fachos commencent à subir la répression. Nos mobilisations et la pression médiatique mise par VISA notamment n’y sont sûrement pas pour rien. Ainsi, 3 des agresseurs de La Serre ont été jugés en mai et ont écopé de peines de prison allant jusqu’à 24 mois dont 16 avec sursis. Leur procès nous a permis d’en savoir plus sur leurs réseaux et d’apprendre qu’un des assaillants disposait d’une dizaine d’armes réparties dans plusieurs caches. Les assaillants du festival Bretagne ouverte et solidaire seront jugés en septembre prochain. 

Et après ? 

Cette manif a fait parler d’elle, nous a donné de la force mais elle montre l’étendue du chemin à parcourir pour de nouveau mobiliser largement autour de ces questions. Nous voulons continuer à proposer cet espace d’organisation ouvert. Une ag de bilan/suites est prévue en Juin. Plusieurs questions vont se poser :

Comment poursuivre après les mobilisations des derniers mois ? Qui veut-on réunir ? Quelle articulation entre le front commun et les organisations antifascistes préexistantes ? 

Comment se positionne-on par rapport aux élections?

Mais aussi des questions souvent débattues chez les révolutionnaires et qui sont déjà posées dans le collectif :

Quelle place pour l’anticapitalisme et la révolution dans nos discours et nos mobilisations ?

Comment éviter de reproduire les erreurs françaises et espagnoles des années 30 qui, au nom de l’antifascisme ont joué contre la révolution ? 

Place du Panthéon, la réponse antifasciste s’organise

Alors que les forces fascistes comme le RN ou les zemmouristes regroupent à présent plus de 10 millions de voix lors de la plupart des scrutins, les milices nazies avaient prévu de parader dans les rues de Paris le 11 mai dernier, à l’appel du Comité 9 Mai3 pour commémorer les 30 ans de la mort d’un de leur sbire. Alors qu’ils manifestent dans leurs bastions (Rue Assas, Port Royal…), les personnes assises aux terrasses des cafés de ces quartiers, pourtant huppés, n’arrêtent pas de les insulter à mesure que les colonnes de miliciens défilent.

Une riposte antifasciste plus organisée a également été pensée. Des dizaines de syndicats, d’organisations associatives, collectives ou politiques se sont regroupées autour d’un cadre unitaire existant depuis plusieurs mois à présent. Face à cette peste brune finalement autorisée à manifester, l’organisation d’un village antifasciste a été actée. 

A2C s’y est humblement associée. D’une part nous avons diffusé l’appel ou fait des collages avec les forces militantes (collectifs, syndicats…) locales dans lesquelles nous sommes impliqué·es, et d’autre part, nous avons tenu un stand afin d’échanger avec l’ensemble des antifascistes venu·es construire cette initiative. Nous faisons donc ici un retour de cette expérience enthousiasmante. Nous espérons que la nouvelle génération antifasciste qui a fait vivre ce village et celles et ceux qui ont tenu un front fort délaissé ces dernières années, partagerons également leur bilan (Action Antifasciste Paris Banlieue, La Jeune Garde Paris, les syndicalistes, notamment celles et ceux animant le réseau VISA…). 

Une riposte encourageante

La première victoire de cette riposte a été d’être plus nombreux et nombreuses que les nazis. Les fachos semblent avoir été proches de 600. Ce sont quelques milliers de jeunes qui sont passé·es dans ce village formé par toute une série de stands. 

Le large panel d’organisations présentes, a rappelé la centralité de la lutte contre toute forme d’oppression : par exemple les Inverti·es pour les luttes contre la LGBTIphobie, notamment face à la transphobie distillée à longueur de temps par les fachos, ou encore le CSP 75 contre les racistes et leur théorie du « grand remplacement ». 

Une attention toute particulière a également été mise sur la solidarité avec les luttes des peuples opprimés. Urgence Palestine et de nombreux collectifs locaux en soutien à la Palestine étaient par exemple présents et invité·es dans un des débats proposés. 

Cette première expérience nous semble donc être une réussite et les limites que l’on a pu observer sont pour la plupart à mettre sur le compte jeune âge du cadre unitaire qui l’a fait naître. On l’a vu, le travail d’élargissement est encore à faire progresser. Les collectifs liés aux luttes anti-racistes, comme les collectifs de sans papier, également impliqués dans la lutte antifasciste devront peut-être se rapprocher de ces initiatives et y être spontanément inclus.

Des débats à poursuivre dans l’action

Ce village a enfin permis les échanges, les discussions et les polémiques. L’une n’est pas anodine et doit être discutée tout en menant les expériences ensemble. Une partie significative des camarades investi·es dans ce cadre unitaire semblent convaincu·es par les théories défendant qu’une « fascisation » de l’ensemble de la société serait à l’œuvre. Cela amène à faire émerger des appels à se mobiliser de façon indistincte contre les milices nazies, les partis de masse d’extrême droite ou l’État. La grille d’analyse d’A2C sur la question peut se retrouver dans les nombreux articles en accès libre sur notre site internet4. Pour nous, si le vote Macron, ou se reposer sur les institutions de l’Etat n’est aucunement une solution, l’agenda de la contre-offensive antifasciste doit se concentrer sur les évènements du RN et de Reconquête. Les partis de masse qui attisent et canalisent les haines de la petite bourgeoisie sont les premières forces à combattre car elles incarnent la principale réalité du danger du fascisme. Contrairement à la vision stalinienne, les fascistes opèrent bien en autonomie des instruments de domination de la bourgeoisie et ont des objectifs distincts des impératifs de la classe dominante5. En cela, pas un de leurs meetings ne devrait être plus nombreux que nos contre-manifestation. Et cela prend du temps à se construire. Nous devons mener le travail de sensibilisation au danger fasciste sur le terrain, au sein de nos collectifs et dans nos milieux. Les Kermesses et villages antifascistes peuvent, avec détermination, faire vivre nos facs et nos quartiers car c’est désormais à l’ensemble de notre classe qu’il va falloir s’adresser.

Jalel (Paris 20e) et Manu (st-brieuc)
  1. Lire à ce propos l’article de Vanina Giudicelli https://www.autonomiedeclasse.org/antifascisme/existe-t-il-un-danger-fasciste-en-france/ ↩︎
  2. Liens que démontre récemment l’enquête de Streetpress : https://www.streetpress.com/sujet/1701278537-rassemblement-national-rn-radicaux-identitaires-monarchistes-neonazis-le-pen-bardella ↩︎
  3. En partie initié en 1994 par des membres des Jeunesses du FN comme le rappelle l’article de la Horde : https://lahorde.info/Histoire-et-actualite-des-mobilisations-du-9-mai ↩︎
  4. Voir notamment l’article d’Erwan : https://www.autonomiedeclasse.org/antifascisme/doit-on-parler-de-fascisation/ ↩︎
  5. Analyse reprise dans l’article de Vanina Giudicelli ↩︎