Le RN a-t-il renoncé à la violence ?

Bleu marine dehors. Brun dedans. 50 ans après sa création, la stratégie du FN/RN n’a pas changé. Malgré ses efforts de dédiabolisation, nombreux sont les exemples qui prouvent que le RN nourrit toujours un projet fasciste. Il attend juste que les conditions soient réunies pour écraser tout ce qui fait obstacle à son projet de régénération nationale.

Les Cahiers d’A2C #18 – septembre 2025

Comment un parti créé par des nostalgiques du IIIème Reich adeptes de la violence politique (ancien SS, collabos et membres de l’OAS) a pu devenir le 1er parti de France ? En faisant du double jeu permanent le cœur de sa stratégie. Pour sortir de la marginalité politique, au lendemain de la 2eme GM, les cerveaux du FN ont convaincu différents mouvements fascistes de s’unir et d’abandonner temporairement la violence pour miser sur la stratégie électorale. Dès le départ, le FN est une vaste tentative de dédiabolisation.

Depuis sa création, le FN met tout en œuvre pour montrer qu’il a pris ses distances avec une des caractéristiques principales des fascismes historiques : l’existence d’un mouvement de masse capable d’écraser tout ce qui fait obstacle à son projet de régénération nationale, à savoir les forces de gauche et les minorités.

François Duprat, un des artisans de la stratégie électorale du FN, invitait ses militants à renoncer aux bastons avec les gauchistes et tout ce qui pourrait les faire passer pour des nazillons. Néanmoins, à ses débuts, le parti laissait quelques libertés à ses membres. La double appartenance (FN et groupuscules violents) était possible et les militants FN avaient eux mêmes recours à la violence et aux actions coup de poing (comme l’occupation du domicile de Pasqua par des militants du GUD et du FNJ). Deux assassinats racistes (Ibrahim Ali et Brahim Bouarram) ont été commis par des militants du FN et des violences racistes mais aussi contre la gauche ou les journalistes accompagnaient régulièrement les sorties publiques du FN.

Mais depuis l’arrivée de Marine Le Pen à sa tête, le FN est passé à l’acte II de la dédiabolisation. Plus il se rapproche du pouvoir, plus il joue la carte de la respectabilité et cherche à invisibiliser les éléments qui rappellent son toujours-là fasciste. “Plus on avance, plus on a de députés, plus on se doit de montrer qu’on agira dans le respect de la loi et la Constitution”, s’est senti obligé de préciser Louis Alliot, vice-président du FN. Ainsi, peu après l’arrivée de Marine Le Pen à sa tête, le FN a décidé d’arrêter les manifestations pour éviter tout débordement. 

Car malgré les déclarations publiques des cadres du FN, les liens avec les fachos cagoulés et ouvertement racistes restent nombreux, à la tête de l’organisation comme à sa base1. David Rachline, vice-président du RN, est considéré selon plusieurs sources comme un « antisémite pathologique ». Jordan Bardella et Marine Le Pen entretiennent des liens économiques, politiques et intimes avec les piliers de la Gud Connexion. « Avec eux, c’est à la vie à la mort » avait déclaré Marine Le Pen à leur sujet. Eux c’est Axel Lousteau et Frédéric Châtillon. Ces anciens dirigeants du GUD, antisémites notoires, ont occupé jusqu’à récemment des postes clés au sein du FN (trésorier, chargé de campagne…) avant de vendre des prestations au parti via leurs entreprises de com’ et de sécurité. Suite à leur participation au défilé néonazi du C9M où l’un d’eux avait menacé un journaliste, Marine Le Pen avait timidement pris ses distances avec eux. Mais même s’ils n’apparaissent plus dans l’organigramme du parti, ils ne sont jamais très loin de l’oreille et du portefeuille de ses dirigeants.

Troupeau de brebis galeuses

Pendant les législatives 2024, alors que Bardella peinait à reconnaître la présence de « quatre ou cinq brebis galeuses » parmi les candidats RN, Mediapart en a débusqué une centaine, dont beaucoup ont été élus et maintenus en poste malgré la révélation de leur racisme patenté ou de leur proximité avec des groupes violents.

Par ailleurs, nombre d’élus RN ont embauché des assistants parlementaires issus de groupuscules violents voire ouvertement nazis. Selon un décompte du chercheur Nicolas Lebourg, une cinquantaine de militants identitaires travaillent pour le RN à des postes de communicants. Et encore davantage assurent le service d’ordre ou distribuent des tracts.
Ces liens entre fachos en costard et en cravate se renouvellent via les organisations de jeunesse2. La Cocarde (et dans une moindre mesure l’UNI), syndicat étudiant qui sert d’espace de recrutement pour le RN (au moins 15 d’entre eux ont été embauchés par le RN en 2023) est également un lieu de speed dating entre faf respectables et violents. Le syndicat fait autant dans la formation idéologique que dans le déblocage à coups de poings de facs occupées. Beaucoup ont la double appartenance Cocarde/RNJ (Rassemblement National Jeunesse), mais on y trouve aussi nombre de militants identitaires, des Républicains et des zemmouristes.

Le RN pour l’instant doit rester discret voire montrer sa désapprobation face aux attaques et aux déclarations les plus violentes (comme la descente raciste de Romans-Sur-Isère ou du meurtre raciste d’Hichem Miraoui par un homme qui appelait à voter RN) mais il témoigne dès qu’il peut son soutien à des formes d’intimidations qu’il juge acceptables. Le parti avait ainsi salué l’action anti-migrants de Génération identitaire à la frontière italienne. Le collectif fémonationaliste Nemesis a également pu préparer ses actions au château des Le Pen3. Enfin, les députés RN s’affichent avec la Coordination Rurale, un syndicat agricole connu pour les prises de position racistes de ses dirigeants et ses actions violentes contre des institutions, des paysan-nes et des militant-e-s de gauche.


Quand vont-ils tomber le masque ?

Pourquoi le RN entretient autant de liens avec des militants ouvertement racistes et violents alors que ceux-ci nuisent à sa quête de respectabilité ? Le parti a besoin d’eux pour garantir sa radicalité idéologique et éviter la notabilisation4 autant que pour former l’avant-garde d’un futur mouvement de masse capable d’imposer le projet raciste de régénération nationale du RN dans les rues.

La recrudescence d’actions violentes suites aux bons scores du FN/RN de 2024 montre que nombre de fachos, isolés ou organisés, n’attendent qu’un signal pour se lâcher. Un seul exemple : l’agression homophobe menée par Gabriel Loustau, actuel chef du GUD et fils d’Axel, accompagné par deux membres du RN après la victoire du RN aux européennes. L’un a crié en partant : « Vivement dans trois semaines, on pourra casser du pédé autant qu’on veut ».

Pour le moment, le FN/RN retient à peu près ses chiens et mise sur la respectabilité. Mais, sous certaines conditions, le RN pourrait être amené à changer de stratégie et à construire activement un mouvement de masse :

  • aggravation de la crise. Le RN, comme les nazis avant lui, pourraient avoir envie de l’aggraver encore en multipliant les violences ciblées et se poser comme seuls à même de pouvoir ramener l’ordre.
  • poussée révolutionnaire
  • émeutes racistes
  • crise interne au parti (déroute électorale, décision judiciaire défavorable….) : si le RN perd son élan, il pourrait avoir envie, pour resserrer ses rangs, de lâcher un peu la bride aux aspirants à la violence, comme Hitler l’a fait après les élections décevantes de novembre 32
  • victoire électorale: ils vont avoir du mal à contenir leurs militants qui se rongent le frein depuis des décennies. D’autant plus si leur accession au pouvoir entraînait une réaction conséquente de la gauche qui justifierait une radicalisation des fachos pour l’endiguer.

Les fachos ont-ils encore besoin d’un mouvement de masse ?

Le sociologue Ugo Palheta (et d’autres avec lui) considère qu’au vu de la puissance des appareils répressifs, de l’affaiblissement actuel du mouvement ouvrier, de l’absence d’un événement comme la première guerre mondiale qui a préparé à l’époque les esprits à la violence de masse, le fait que les fascistes construisent un mouvement de masse est moins probable. Ils pourraient se contenter de mettre l’appareil d’État au service de leur politique de régénération nationale.

Mais il y a une différence entre arriver au pouvoir et prendre le pouvoir5. Vu que le projet fasciste est partiellement autonome de celui de la bourgeoisie6, jusqu’au bout de leur règne, les fascistes ont dû maintenir des institutions parallèles (milices, mouvement de jeunesse, clubs de loisirs, syndicats…) pour mater les menues résistances des institutions bourgeoises et s’assurer de leur pleine collaboration au projet fasciste. « En Italie, le parti fasciste doubla tous les niveaux d’autorité publique d’une agence du parti : les chefs locaux du parti flanquaient les maires désignés (podestà), les secrétaires régionaux de parti (federale) flanquaient les préfets, la milice fasciste flanquait l’armée, et ainsi de suite », décrit l’historien Robert O. Paxton.

Tant que la situation n’est pas mûre et que certaines des conditions énumérées plus haut ne sont pas remplies, les fascistes ne peuvent pas se permettre de tomber le masque. C’est comme ça qu’il faut analyser la situation italienne actuelle. Meloni, qui est pourtant une authentique fasciste, doit pour le moment se contenter de gouverner comme une réactionnaire classique pour garder le soutien de la bourgeoisie et ne pas effaroucher sa base sociale qui n’est pas encore prête au retour de la violence fasciste. Mais gardons en tête que les choses peuvent aller très vite. En Italie, seulement trois ans se sont écoulés entre la création des faisceaux de combat et l’accession au pouvoir de Mussolini.

Le RN, lui aussi, s’il veut mettre en place son projet fasciste le moment venu, aura besoin de mettre les foules en mouvement pour l’imposer dans la rue et les institutions.

Perturbation de lectures drag, syndicats de parents d’élèves réactionnaires qui mettent la pression sur les enseignants, campagnes d’affichage anti-islam, têtes de cochons et tags racistes devant le domicile de personnes racisées, attaque d’un centre LGBT ou de locaux militants, agressions physiques (allant jusqu’au meurtre) de minorités ou de militant.es… Ces actions d’intimidations plus ou moins violentes et organisées qui se multiplient déjà pourraient se systématiser si le RN décidait de les encourager ouvertement. Pour l’instant les fascistes sont forts dans les médias et les institutions mais leur base militante est encore faible bien qu’en progression7. Si le RN arrive à construire un mouvement de masse, cela signifierait l’écrasement de tous nos espaces d’organisation et des minorités. 

A quoi ressemblera le fascisme du XXIème siècle ?

Plutôt qu’un mouvement de masse en uniforme, centralisé et étiqueté RN, le mouvement de masse fasciste de demain prendra peut-être des formes plus rhizomatiques et informelles : un réseau de collectifs de différentes natures (ponctuels ou éphémères, thématiques ou généralistes, locaux ou nationaux) qui malgré leurs différences se placent sous le patronage politique du RN sans forcément en être membres. Le RN pourrait se contenter d’encourager les révoltes réactionnaires sans en assumer directement la responsabilité à l’image de ce qu’a fait Trump avec le Capitole. 

Cette tendance est déjà en germe. En 2018, une militante de Génération identitaire explicitait la division du travail implicite qui structure leurs rangs : « Le FN fait son taf, c’est la politique. Et nous c’est la rue ». Les fachos, qu’ils soient isolés ou déjà organisés, savent qu’ils ont besoin d’un parti pour donner un débouché politique à leurs colères éparses. Et le RN s’est imposé comme le seul à même d’unir et de porter au pouvoir le bloc fasciste. Les fachos l’ont bien compris. Il est urgent que notre camp le comprenne également. Pour s’attaquer au fascisme, il faut viser en premier lieu sa tête et non ses membres (les luttes contre Bolloré ou les groupuscules violents ne devraient faire passer la lutte contre le RN au second plan). Et cela passe par l’unité d’action de notre classe car on n’arrêtera pas le rouleau compresseur fasciste avec les seules forces révolutionnaires. 

Manu (St Brieuc)
  1. https://linsoumission.fr/2024/05/07/gud-neonazi-rn-portrait/ ↩︎
  2. https://www.youtube.com/watch?v=B45SjXMYLKg ↩︎
  3. https://universitepopulairetoulouse.fr/spip.php?article3308 ↩︎
  4. Risque que les élus RN mettent de côté leur projet de départ pour maintenir leurs avantages ↩︎
  5. Dans le livre référence “Fascisme en action”, l’historien  Robert O. Paxton explique qu’Hitler et Mussolini sont arrivés au pouvoir via des gouvernements de coalition et qu’il leur a fallu entre plusieurs mois et plusieurs années pour obtenir les pleins pouvoirs ↩︎
  6.  https://www.autonomiedeclasse.org/antifascisme/existe-t-il-un-danger-fasciste-en-france/ ↩︎
  7. Le RN revendique 100 000 adhérent.es et le journaliste Sébastien Bourdon estime que les militants d’extrême-droite radicale sont 10 000 en France. Mais ce chiffre n’inclut pas par exemple les 15 000 membres de la Coordination Rurale, syndicat agricole fasciste, ni les 25 000 membres revendiqués de l’UNI. ↩︎