USA – La journée sans immigré l’emportait

Nous publions ici la traduction d’un extrait de l’article1 de Victor Fernandez, militant de Marx21 aux Etats-Unis. Nous avons fait la connaissance de ce militant révolutionnaire lors de notre Festival Boussoles en juin dernier. Depuis notre site, en flashant ci-dessous le QR code, allez revoir son intervention au sujet des révoltes de Los Angeles contre les rafles des sans-papiers. V. Fernandez revient ici sur la plus grande grève de l’Histoire des USA : la grève politique pour défendre les droit des sans-papiers le 1er mai 2006.

Pourquoi ai-je rejoint une organisation socialiste ?

Après quelques manifestations, un contact m’a invité à une réunion qui s’organisait contre HR4437.  HR4437 était un projet de loi adopté par la Chambre des représentants [des Etats-Unis] qui faisait de tout migrant sans-papier ou de toute personne aidant un migrant sans-papier un criminel.  Cette mesure criminalisait toute une partie de la population. Le plus stupéfiant, c’est que ce projet de loi était quasiment acquis et que personne, en dehors d’un petit groupe d’activistes, n’était au courant.  Même lors de la réunion d’explication du projet de loi, celui-ci semblait si irréel et si lointain. C’est à ce moment que j’ai rencontré les membres de l’ISO [International Socialist Organization, aujourd’hui dissoute, ndlt]

Lors de la première réunion de l’ISO, j’ai été immédiatement plongée dans l’organisation des luttes de migrant.e.s.  Je participais à l’organisation des manifestations de protestation et je représentais l’organisation au sein de la coalition des droits des immigrés nouvellement formée contre HR 4437.  Je n’étais pas seul.  Des organisateur.rice.s chevronné.e.s étaient là pour m’aider. 

Militer contre le racisme

Nous sommes maintenant en 2006 et les groupes pro-immigration commencent à se regrouper autour de réunions hebdomadaires à Los Angeles. L’adoption de la loi HR4437 par la Chambre des représentants a donné lieu à un rassemblement de tous les groupes luttant pour les droits des immigrés. Cela semblait être un effort vain. La gauche s’est regroupée avec des groupes progressistes et des organisations à but non lucratif. L’objectif principal était d’organiser une manifestation massive contre la loi HR 4437.  Il semblait ridicule de s’attendre à une grande participation. 
Nous aurions été positivement surpris avec 10 000 personnes. Cela ressemblait à une dernière tentative exaspérée, presque délirante, de riposte. Cependant, nous ne nous sommes pas laissés abattre sans combattre.

La marche du 25 mars 2006

Les activistes de Chicago ont organisé leur manifestation quelques semaines avant la nôtre.  Comme nous, ils voulaient manifester leur dégoût pour la loi HR4437.  L’organisation a payé. Les DJ locaux hispanophones, qui ont une grande influence sur la communauté immigrée, ont répondu à l’appel.  En fait, les différentes stations de radio se sont affrontées pour savoir laquelle d’entre elles pouvait rassembler le plus grand nombre de personnes. Cela a débouché sur une marche de 300 000 personnes à Chicago, deux semaines avant la nôtre. Cela a radicalement changé la donne.

On dirait qu’un poids a été enlevé et que tout est possible.  Des années de frustration et de peur sont effacées et un espoir véritable se fait sentir. C’est réel. C’est ce qu’on a ressenti après la manif de Chicago. D’un coup, les gens qui nous regardaient comme des fous se sont montrés encore plus enthousiastes que nous.  Les DJ des radios de Los Angeles ont répondu à l’appel et se sont mis à rivaliser pour voir qui pouvait rassembler le plus de monde. Lors de l’une des interviews des organisateurs du 25 mars, ils ont demandé de l’aide pour la sonorisation et ont donné le numéro de mon ami. Le lendemain, il avait reçu 300 appels de personnes prêtes à l’aider.  Nous avons également trouvé un DJ qui avait de l’expérience dans la sonorisation de manifestations de masse au Salvador.  Ensemble, nous avons divisé la liste et passé les appels.  


Nous avions pour principe de systématiquement doubler le nombre de participant.e.s annoncé.e.s par la LAPD (Los Angeles Police Department).  Le 25 mars 2006, ils ont estimé 500 000 participant.e.s. Dans nos groupes, nous pensions qu’il y avait entre un million et 1,5 million de personnes. La marche était prévue pour 10 heures à l’angle d’Olympic et de Broadway, à environ un kilomètre de l’hôtel de ville de Los Angeles.  Il y avait tellement de monde que la marche a commencé tôt. Comme l’avaient demandé les DJs des radios, tout le monde était vêtu de blanc. Étant à l’avant de la marche pour les tâches d’organisation, nous n’avons vu qu’une mer de blanc se diriger vers nous. 

La marche s’est transformée en un rassemblement à l’échelle du centre-ville, avec des gens qui rejoignaient et quittaient toute la journée. Le centre-ville était de fait fermé. Il s’agissait de la plus grande marche jamais organisée aux États-Unis. Lors de cette marche, les militants de Los Angeles ont appelé à une journée sans immigrés pour le 1er mai. 

Un 1er mai 2006 sans immigré 

Ce jour-là, nous boycotterions toutes les entreprises et n’irions pas travailler.  Nous démontrerions le pouvoir des migrant.e.s par le biais de ce qui deviendra en fait une grève nationale et qui aura lieu le 1er mai, Journée internationale des travailleur.euse.s.

L’appel à la grève était un sujet dont de nombreux militant.es discutaient au niveau national.  C’était une excellente idée, mais il était difficile de la concrétiser au sein de la population des migrant.e.s sans papier.  Nombre d’entre nous craignaient d’être expulsé.e.s.  Cependant, les images de millions de personnes dans les rues de toutes les villes américaines ont renforcé notre confiance. Alors que la plupart des manifestations étaient organisées par des personnes en situation régulière, en général des descendants ou parents de migrant.e.s sans papier, la journée sans migrant.e.s du 1er mai 2006 a placé les sans papier au centre de son organisation.

Avec une confiance renouvellée dans le fait qu’un mouvement et une population étaient derrière eux, les sans-papiers aux Etats-Unis ont commencé à s’auto-organiser pour le 1er mai.  Les organisateur.rice.s se sont concentrés sur les rassemblements de ce jour-là, mais le cœur de l’organisation se trouvait parmi les personnes sur leurs lieux de travail, dans leurs écoles et dans leurs communautés.  

L’appel avait été lancé et les gens l’ont repris de manière organique. Du 25 mars au 1er mai, les réunions et les manifestations se sont succédé pour préparer la Journée sans migrant.e.s. 

Au petit matin du 1er mai, mon amie activiste a reçu un appel d’un organisateur du quartier de la mode, connu sous le nom de “the alleys”. Il s’agit d’un ensemble d’allées du centre-ville de Los Angeles où l’on vend des vêtements et des articles à prix réduits et qui est très populaire auprès de la communauté immigrée pour faire ses courses et travailler.  Les travailleurs de ces magasins ont fermé boutique.  Ils s’emparaient de tous les produits exposés à l’extérieur des magasins, les transportaient à l’intérieur et fermaient leur propre lieu de travail. Les propriétaires ne pouvaient rien faire. 

Il s’agit d’une lutte des Mexicain.e.s contre le racisme et l’oppression aux États-Unis ET d’une lutte de toutes les personnes qui émigrent ici et travaillent pour une vie meilleure, et elle doit être soutenue par tous ceux qui travaillent pour une vie meilleure, qu’ils soient nés ici ou non.

Par conséquent, une grève nationale des migrant.e.s et de leurs sympathisant.e.s entraînerait la fermeture de tout le pays. C’est exactement ce qui s’est passé le 1er mai 2006. Le port de Los Angeles a été effectivement fermé lorsque 90 % des camionneurs ont refusé de se présenter. Ça a coûté à l’économie un milliard de dollars. Cargill, Tyson et Seaboard, tous producteurs de denrées alimentaires, ont dû interrompre une grande partie de leurs activités ce jour-là. Les chantiers de construction étaient vides. Les champs travaillés par les migrant.e.s, principalement dans des Etats comme la Californie et la Floride, ont été fermés. En outre, d’innombrables entreprises qui dépendaient de la main-d’œuvre et de la clientèle immigrée ont fermé leurs portes en signe de solidarité ou ont été contraintes de le faire en raison du manque de travailleur.euse.s et de client.e.s.

Il s’agissait, et il s’agit toujours, de la plus grande grève de l’histoire des États-Unis et elle a été incroyablement efficace. Quelques semaines après le 1er mai, grâce à la poursuite des manifestations et des actions et à un retournement général de l’opinion publique en faveur des migrant.e.s, le projet de loi HR4437 est mort au Sénat. 

Victor Fernandez (Marx 21, Los Angeles)

  1. La version complète de l’article est disponible en langue anglaise sur le site de Marx 21 “The day Immigrants won : part one”, 04 avril 2025,
    https://marx21us.org/2025/04/04/report-part-one/
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