Quelles luttes anti-sionistes aujourd’hui ?

Retour d’expérience de l’événement à La Chapelle avec Tsedek ! et le Comité de soutien à la Palestine, à Toulouse – 16 décembre 2024

Les Cahiers d’A2C #16 – MARS 2025

Le 16 décembre, à Toulouse, une rencontre a été organisée à La Chapelle, un lieu emblématique de la vie militante de la ville, entre le Comité de soutien à la Palestine et Tsedek ! collectif juif décolonial. La thématique abordée lors du débat était : « Quelles luttes anti-sionistes aujourd’hui ? ». 

Le Comité de soutien à la Palestine, créé fin 2023 après les interdictions de manifestations en soutien à la résistance palestinienne, regroupe des organisations et des individus qui souhaitent organiser des actions pour la Palestine à Toulouse, telles que des manifestations, des rassemblements, des collages et des actions de boycott pour sensibiliser la population aux liens entre des entreprises locales et l’État d’apartheid d’Israël. 

Tsedek ! est un collectif formé en juin 2023 par des personnes juives d’horizons variés, cherchant à créer une nouvelle maison politique juive antiraciste pour lutter contre le racisme en France et le régime d’apartheid en Israël/Palestine. Ce collectif conjugue lutte politique et dimension culturelle dans le but de se réapproprier les diverses judéités et de reconstruire les mondes dévastés par la Shoah, le colonialisme et la suprématie blanche européenne. 

L’objectif de cette rencontre était d’ouvrir une discussion sur le sionisme, les formes de lutte anti-sioniste possibles, et d’encourager les participants à rejoindre le Comité de soutien à la Palestine ou d’autres groupes militants. Cette discussion a émergé d’un constat : une des raisons principales qui freine l’élargissement des mouvements de soutien à la Palestine est la confusion persistante entre antisémitisme et antisionisme. Bien que cette confusion soit de moins en moins efficace après les événements du 7 octobre, où un génocide a été déclanché par l’État d’Israël, elle reste un outil de manipulation. Il est crucial de continuer à dénoncer le sionisme pour ce qu’il est : un projet raciste, colonial et ethno-nationaliste.

Le déroulement de la soirée :
La discussion a commencé par plusieurs questions introductives auxquelles les deux collectifs ont répondu. Voici un résumé de ces réponses.

Brève histoire du sionisme :

Le sionisme, né au XIXe siècle et théorisé par Theodor Herzl, a émergé comme une réponse bourgeoise à l’antisémitisme en Europe. La création d’un foyer juif était une réponse à l’idée partagée par les antisémites que les juifs ne pouvaient ni vivre en Europe ni s’y intégrer. Dès le départ, l’objectif était la colonisation d’une terre pour créer un État juif.
Certains affirment qu’il existe différentes formes de sionisme, de gauche, ou celui mis en place par les réfugié.e.s de la Shoah et par le parti travailliste israélien. Mais la question essentielle reste : qu’est-ce que le sionisme pour ceux et celles qui le subissent, les Palestinien.ne.s ? Pour elleux, le sionisme est la colonisation, la dépossession, l’occupation, la Nakba, l’apartheid, et le génocide. Peu importe les justifications idéologiques du sionisme ; la réalité vécue sur le terrain est celle d’une oppression systématique des Palestinien.ne.s, le vol de leurs terres, la pérsecution, la ségregation et la dépossetion depuis la création de l’État juif (et même avant avec le mandat anglais). 

Qu’est-ce que l’antisionisme pour vous ?

L’antisionisme est un mouvement large, qui englobe des courants religieux, laïques, marxistes, et libéraux. Il remet en question les fondements idéologiques du mouvement sioniste et de l’État d’Israël, en tant que projet colonial et raciste, prétendant garantir la sécurité des juif.ve.s du monde entier. Bien que les deux collectifs luttent contre le sionisme, leurs approches diffèrent. Pour le Comité, le but est d’organiser le plus grand nombre de personnes dans le soutien à la résistance du peuple palestinien, en organisant des réunions, manifs, collages, débats, actions de boycott, etc. Pour Tsedek ! l’objectif est de soutenir ces organisations, participer aux actions, créer des espaces de formation et discussion autour du sionisme et comment construire les arguments politiques pour le combattre. Pour les militants ayant soutenu la Palestine pendant des années, les accusations d’antisémitisme sont une tactique fréquente utilisée pour discréditer la résistance contre Israël. Ces accusations font partie d’une stratégie visant à criminaliser la critique du projet colonial israélien. Cependant, pour Tsedek, les accusations d’antisémitisme sont absurdes. À la place, certains utilisent des arguments comme « être des juif.ve.s d’exception » ou « avoir  intégré l’antisémitisme ».

Pourquoi est-il important de se revendiquer antisioniste aujourd’hui ?

Lutter contre le sionisme, c’est contester l’idéologie qui est à l’origine du problème. Le sionisme, en tant que projet colonial, est la racine du « conflit ». Revendiquer l’antisionisme, c’est réclamer la fin de la colonisation et d’un État exclusif aux juif.ve.s, qui exclut toute possibilité de vie pour les Palestinien.ne.s simplement parce qu’ils ne sont pas juifs.

Depuis 2017, Macron mène une campagne visant à assimiler l’antisionisme à de l’antisémitisme : quels en sont les enjeux ?

L’antisémitisme, bien qu’encore présent dans la société européenne, ne doit pas être confondu avec l’antisionisme. Israël, en se revendiquant comme protecteur et seul répresentant des juif.ve.s du monde, floute cette distinction et assimile toute critique à de l’antisémitisme. Pourtant, l’État d’Israël s’allie sans problème avec des politiciens d’extrême droite connus pour leurs discours antisémites, tant qu’ils soutiennent Israël. Pour Israël, le problème n’est pas l’antisémitisme quand il vient de ses aliés politiques, le problème pour eux c’est l’antisionisme qui expose cela. Il est crucial de refuser systématiquement cette confusion entre antisémitisme et antisionisme.

Il y a une nouvelle loi présentée par Caroline Yadan qui vise à criminaliser l’antisionisme, notamment à travers l’utilisation de la définition de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste : pouvez-vous expliquer ?

Nous devons catégoriquement rejeter la définition de l’antisémitisme proposée par l’IHRA, qui vise assimiler toute position antisnioniste à de l’antisémitisme. Cet amalgame constitue un outil au service du mouvement sioniste et de l’État d’Israël et est utilisée pour renforcer une stratégie idéologique visant à justifier le projet de colonisation israélien et à faire taire toute critique des politiques israéliennes. Le sionisme ne représente pas tous les juif.ve.s du monde. D’ailleurs, aujourd’hui, la majorité des sionistes dans le monde sont des chrétiens qui soutiennent Israël pour des raisons messianiques (et politiques). Les critiques à l’égard de l’État d’Israël, de ses politiques de ségrégation, de colonisation et d’exclusion ne doivent en aucun cas être assimilées à de l’antisémitisme. Faire cet amalgame est dangereux, car il minimise l’antisémitisme réel en le manipulant à des fins politiques. De plus, en agissant ainsi, Israël contribue à l’augmentation de l’antisémitisme, en vidant de son sens le terme et en salissant la mémoire de la Shoah pour justifier ses actes criminels au nom de la « sécurité des juif.ve.s ».

On observe l’émergence d’organisations, juives ou non, qui se disent de gauche mais qui défendent Israël : quel est votre point de vue sur ça ?

L’accusation d’antisémitisme est fréquemment utilisée pour intimider les militant·e.s. Cela se traduit par des situations où les défenseurs du génocide palestinien exigent de leurs contradicteurs qu’ils condamnent la résistance palestinienne. Ces attaques diffamatoires viennent non seulement de la droite et de l’extrême droite, mais aussi de certains sionistes « de gauche » plus ou moins assumés. Face à la pire tragédie vécue par les Palestinien·ne.s depuis la Nakba, une grande partie de la gauche se perd dans des débats infondés sur l’antisémitisme. Il est pourtant incontestable que l’antisémitisme est un phénomène structurel qui existe dans la société et doit être combattu. Cependant, ce n’est pas l’objectif de ces débats : ils cherchent avant tout à réduire au silence toute position antisioniste.

Prenons l’exemple des « Guerrières de la paix » : leur discours est particulièrement pernicieux, car ce n’est pas tant ce qu’elles disent, mais ce qu’elles omettent de dire qui est problématique. Les mots “apartheid”, “colonisation”, “occupation militaire”, “nettoyage ethnique”, “génocide” sont systématiquement évités. À la place, elles insistent sur l’idée qu’il faudrait réunir Palestinien.ne.s et Israélien.ne.s autour d’une table de discussion. Selon elles, le problème serait une sorte d’impasse due aux « torts des deux côtés », une vision selon laquelle les « mauvaises interprétations » des deux camps créeraient un blocage. Ce faisant, elles dépolitisent la question palestinienne en invisibilisant la dynamique de pouvoir, c’est-à-dire l’existence d’un oppresseur et d’un opprimé. Comme l’a si bien dit le militant révolutionnaire palestinien Ghassan Kanafani lorsqu’on lui demanda s’il pensait qu’il serait utile de discuter avec les Israélien.ne.s : « Discuter à propos de quoi ? Ce serait la discussion entre  l’épée et le cou ».

Ainsi, pendant le génocide en cours, il est évident que l’ensemble des actions de ces sionistes « de gauche » s’est résumé à attaquer les soutiens de la Palestine, plutôt que de s’attaquer à la vrai cause du problème, l’État d’Israël et le sionisme. 

Un aspect particulièrement marquant de cette rencontre a été la présence en grand nombre de personnes issues du milieu queer et féministe, qui ne sont pas toujours visibles dans les manifestations pour la Palestine. Cette participation a été possible du fait de  l’organisation d’un cabaret queer juste après le débat, ce qui a pu faire rencontrer deux groupes militants : féministes et queers et militant.e.s antiracistes pour la Palestinne. Malgré la fatigue d’une année particulièrement difficile sur le plan politique, les participant·e.s sont ressorti·e.s de la soirée avec des outils pour lutter contre la propagande sioniste. La salle était pleine, (400 personnes) et cela nous a donné de la force.

Lors de la reprise des réunions du Comité de soutien,, nous avons constaté qu’aucune nouvelle personne n’était venue suite à cet événement. Néanmoins, nous avons l’impression, avec Tsedek ! d’avoir créé un espace de discussion important et précieux, du fait de l’influence notamment des sionistes dit “de gauche” dans nos espaces de lutte. Cette dynamique est essentielle pour continuer de convaincre autour du soutien à la résistance palestinienne, et même si les résultats immédiats sont modestes, nous restons convaincu·e.s que ce genre d’événement contribue à enrichir le débat et à poser les bases de futures mobilisations. 

Dani. (Toulouse)