Combattre le racisme et le colonialisme par tous les moyens nécessaires

Éditorial

« Chaque fois que les Noirs en lutte ont recours à l’autodéfense, en particulier à l’autodéfense armée, cela est déformé et finalement rendu synonyme d’agression criminelle. En revanche, lorsque les policiers se livrent clairement à des actes d’agression criminelle, ils se défendent officiellement par une « agression justifiable » ou un « homicide justifiable » ».

Angela Davis
Les Cahiers d’A2C #10 – Novembre 2023

Face au massacre en cours en Palestine, Macron et Darmanin rejoindront Netanyahu et Gallant sur l’autel des horreurs de notre monde. Pour le président et le ministre de l’Intérieur français, les actes d’un combattant palestinien deviennent ceux d’un « animal ». Pour eux, un·e migrant·e devient un criminel potentiel. Dans leur logique, 75 ans de colonisation de la Palestine sont à anéantir de la grille d’analyse. Dans leur logique, il faut pouvoir déporter les populations immigrées si leur exploitation n’est plus nécessaire. Dans leur perspective, Israël a un blanc-seing pour massacrer les populations de Gaza. Dans leur perspective, il y a la loi Darmanin, la plus raciste depuis des décennies.

Unité nationale et croisade sanglante

En sciences sociales, les faits ont un contexte propre, des causes et des conséquences spécifiques, une relative autonomie, et nécessitent une lecture singulière afin d’y apprécier les lois scientifiques les régissant. Il n’y a rien qui puisse rapprocher les causes de l’attaque coordonnée par le Hamas le 7 octobre dernier contre Israël à celles de l’assassinat de Dominique Bernard. Rien. Si ce n’est les tendances actuelles des classes dirigeantes françaises. L’État et le gouvernement ont fait de la stratégie du choc1 leur fonds de commerce. Elle consiste à prendre prétexte de ces événements pour renforcer l’unité de la nation française sur des bases racistes et pour renforcer le nationalisme de l’ensemble des classes sociales derrière les actions impérialistes de l’État.

Les objectifs sont clairs :

  • éliminer les contre-tendances : on criminalise le soutien à la résistance palestinienne et on réprime la solidarité avec les migrant·es,
  • favoriser un consensus à l’injustifiable : on interdit l’abaya et on enferme les révolté·es par l’assassinat de Nahel,
  • faire du cœur répressif de l’État son cerveau, ses voies respiratoires et ses parois intestinales : on donne à Darmanin, ancien militant de l’Action française, la tâche de déterminer qui est antisémite,
  • passer de l’exception à la règle : les amendes pour non respect du confinement répriment désormais les manifestant·es qui résistent aux interdictions préfectorales.

Les raisons du soutien inconditionnel de l’État français à la politique israélienne ont une spécificité régionale. Les capacités d’intervention militaire et économique de l’État français au Proche et Moyen-Orient n’ont cessé de reculer en raison de la crise et des instabilités actuelles. La puissance de feu israélienne, la relative stabilité de ses institutions, sa politique d’apartheid et son colonialisme apparaissent comme des éléments de stabilité régionale pour les puissances impérialistes occidentales.

Les fondements actuels de l’unité nationale construite par les classes dirigeantes françaises doivent aussi se comprendre à une échelle plus globale. La trajectoire du capitalisme mondial en crise, impliquant une concurrence de plus en plus féroce entre capitaux internationaux, est la conséquence du processus permanent de concentration et centralisation du capital. Ce processus a fait émerger des firmes multinationales industrielles, commerciales et financières en situation de quasi-monopole au sein de leurs États respectifs. Cette concentration amène les États à entretenir de nouveaux rapports avec leurs principales multinationales. 

L’État français a besoin d’être à la pointe de la compétitivité par l’innovation et les technologies que ses entreprises nationales peuvent apporter au secteur militaire, industriel, scientifique, et à certains services publics.

Les plus gros capitalistes ont besoin d’avoir un État fort, capable de défendre leurs intérêts sur les marchés internationaux, de garantir l’accès aux ressources naturelles nécessaires ou des contrats d’exclusivité par les relations de domination vis-à -vis d’autres pays.

Face à une crise majeure, une rivalité sans merci se développe sur le marché mondial. C’est là l’origine d’une tendance à la fusion entre État et capital, les capitaux devant se lier plus étroitement à leur État national pour la défense de leurs intérêts. Cette analyse de l’impérialisme permet de comprendre les guerres en Ukraine, en Palestine occupée et la montée des tensions entre la Chine et les États-Unis2.

Dans ce contexte, l’islamophobie, qui agit autour du triptyque guerre de civilisations-islam-terrorisme est le vecteur permettant de désigner aussi bien l’ennemi extérieur — qu’il soit Palestinien, Afghan ou Nigérien — et ainsi de justifier des guerres, que l’ennemi intérieur — qu’il soit migrant, musulman ou jeune de quartier — coupable d’atteinte aux intérêts de l’ensemble du pays et motivant à son tour le développement de la politique raciste.

L’ensemble des rapports sociaux de la région sont le produit de la situation coloniale 

Des militant·es de gauche renvoient dos-à-dos la violence israélienne à celle du Hamas. Ces positions ont pour principale lacune scientifique la négation que l’ensemble des rapports sociaux de la région sont le produit de la situation coloniale.

Cette tendance du mouvement social à la position responsable se retrouve aussi chez les député·es qui ont signé une tribune en septembre dernier3 en faveur de la régularisation des travailleur·euses sans-papiers. Le critère de l’égalité des droits devrait, selon eux, être fixé par l’intensité de l’exploitation des sans-papiers qui travaillent et non directement pas leurs revendications.

Le problème pratique posé par ce type de concessions faites à l’idéologie dominante est qu’elles n’offrent que cynisme, mécanismes délégataires et immobilisme.

La question de la fin et des moyens

Des camarades bien plus proches, avec qui nous manifestons ensemble contre les massacres commis par l’armée israélienne, refusent de caractériser le Hamas comme une organisation de résistance. Cela repose sur une idée selon laquelle la fin ne justifie jamais les moyens. E. Plenel, signe ces mots4 : « la contestation de l’occupation et de la colonisation ne saurait tolérer la négation de l’humanité des Israéliens. En franchissant ce pas avec les massacres et prises d’otage de civils, le Hamas a fait plus que nuire à la cause qu’il dit servir : il l’a déshonorée. »

Un premier argument pourrait être opposé : ce ne sont pas les aspirations morales qui impliquent les luttes anticoloniales. Ce sont là encore les antagonismes forgés par un rapport social colonial qui nourrissent les révolutions nationales et les mouvements de solidarité internationale. Dans ce type de contexte, le niveau de violence de la résistance des colonisé·es est constamment déterminé par la violence du colonisateur qui détient un État, une armée, une police et des prisons dédiés à la tâche. Le syndicat des enseignant·es de l’université de Birzeit expose cette vision sans concession5 : « On se souviendra de 2023 comme de l’année historique lors de laquelle les Palestinien·nes ont fait courageusement face au fascisme colonial, se battant pour défendre leurs maisons, leur humanité et leurs vies. Le peuple palestinien subit depuis plus d’un siècle la violence coloniale. Mais notre peuple s’est développé et va continuer de le faire. Il n’est pas nécessaire de parler de notre droit à résister, car ce n’est pas un droit mais une manière d’être et de survivre pour nous Palestinien·nes.»

« La vérité est du côté des opprimé·es » (Malcolm X)

Cette situation politique nous paraissait catastrophique, irrespirable, écrasante… Et soudain… Le 17 octobre, le chantier de l’Arena à Porte de la Chapelle est occupé par des grévistes sans-papiers, par le syndicat CNT Solidarité Ouvrière et par les collectifs de sans-papiers unis via la Marche des solidarités derrière le slogan « Pas de JO sans papiers ». Le même jour, plus de 600 travailleur·euses sans-papiers soutenus par la CGT soulèvent des piquets de grève dans 33 entreprises de la région parisienne.

Et soudain… la jeunesse, en grande partie racisée et féminisée, exprime sa colère contre les bombes israéliennes en défiant les interdictions de manifester. Le 18 octobre, des mouvements juifs antisionistes envahissent le Parlement de Washington alors que Biden atterrit à Tel-Aviv pour soutenir l’épuration ethnique de la bande de Gaza. Le 21 octobre, place de la République, 30 000 manifestant·es se rassemblent en solidarité avec la Palestine. Le 28 octobre, des millions de personnes envahissent les rues, de Londres à Bagdad, de Marseille à Alger, de Dublin à Barcelone, d’Amman à Tunis, de Bruxelles au Caire.

Comme au printemps 2020, ce sont les franges les plus opprimées de notre classe qui entrent en masse dans l’arène par la manifestation et la grève. Ce sont les sans-papiers et la jeunesse des quartiers populaires qui rouvrent, à l’ensemble du mouvement social atrophié, les possibilités d’inverser le cours de l’histoire. Ce sont ces forces sociales qui transforment le champ des possibles. À elles seules, elles ne détruiront pas le colonialisme israélien et le racisme à la française. 

Enraciner des fronts dans nos quartiers contre la loi Darmanin, contre le racisme, les implanter dans nos activités syndicales ou sur nos lieux d’étude, prendre des initiatives associées à la campagne BDS, organiser des cantines en solidarité avec la Palestine, initier des discussions et des évènements contre le danger du fascisme seront des interventions politiques nécessaires dans les semaines à venir.

Gaël Braibant (Montreuil) 


NOTES
  1. La stratégie du choc, Naomie Klein, 2007. ↩︎
  2. « Se préparer aux guerres qui (re)viennent », Jad Bouharoun, Les Cahiers d’Autonomie de Classe #05, ↩︎
  3. Loi immigration : « Nous demandons des mesures urgentes, humanistes et concrètes pour la régularisation des travailleurs sans papiers », Libératon, 11 septembre 2023. ↩︎
  4. « Israël-Palestine : la question morale », Médiapart, 22 octobre 2023. ↩︎
  5. « Nous sommes tou·te·s des Palestinien·nes » communiqué du syndicat des professeur·es et des employé·es de l’université de Birzeit traduit et publié sur Agence Média Palestine le 13 octobre 2023. ↩︎
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