Retour sur le 7 et 8 mars : vers la construction d’un front féministe antisioniste et antifasciste ?

Un plan de bataille construit progressivement pour exclure les collectifs sioniste et fasciste de nos manifs.

Les Cahiers d’A2C #17 – juin 2025

A l’origine de l’initiative : la participation de deux collectifs – Nemesis fasciste et Nous Vivrons, organisation sioniste – à la manifestation féministe du 23 novembre à Paris. Ils ont pu défiler sur tout le trajet sans réaction unitaire de la part de la manifestation. Seule une trentaine de personnes sont allées voir les cortèges pour alerter, et ont essayé de scander des slogans à leur passage place de la République

Cela a fait prendre conscience à de nombreux·ses militant·es de l’urgence à agir pour ne plus que cela se reproduise, notamment lors de l’échéance féministe suivante : le 8 mars. L’année précédente, la majorité des organisations avait accepté la participation de Nous Vivrons. Il y a donc eu au départ des hésitations : faut-il boycotter la manif ? organiser une action ? s’adresser aux organisations qui préparent la manifestation du 8 mars ? C’est ce dernier choix qui va être fait. C’est à partir de militantes impliquées dans Urgence Palestine et Samidoun que, fin janvier, on décide de monter un groupe de travail pour préparer cette échéance avec l’objectif de faire que Nemesis et Nous Vivrons ne soient pas dans la manif. 

Ça nous paraissait important de casser la légitimité que ces organisations se construisaient en étant acceptées dans nos manif. Par exemple, Nemesis, interrogée à la BBC pour parler du procès Pelicot en tant qu’organisation féministe, s’est appuyée sur sa participation à la manifestation du 23 novembre. Cela traduit leur stratégie, qui est de vouloir prendre l’hégémonie sur le mouvement. La riposte à ce groupe fasciste pouvait être immédiate, dans le sens où on s’attendait à ce qu’il participe à la manifestation du 8 mars. Elle devait être immédiate, car les laisser manifester à nouveau allait nous affaiblir durablement dans le combat contre le développement du fascisme. Et elle pouvait également être massive, puisqu’une telle manifestation rassemble des dizaines de milliers de personnes. Notre intention était donc de convaincre le plus largement possible pour que la riposte antifasciste et antisioniste soit massive.

Comment a-t-on procédé ?

Notre intention était de s’adresser à toutes les organisations qui participent au 8 mars (pas seulement les organisations féministes), mais au-delà, à toutes les personnes susceptibles d’être présentes à la manifestation. 

Cela a donné lieu à deux textes discutés collectivement : un appel et un argumentaire. Le premier, l’appel « Le 8 mars on arrête tout, surtout les fascistes et les sionistes ! », ne cherchait pas à attaquer les organisations féministes mais à les pousser à se positionner pour la manif à venir. Il a permis d’aller discuter et de regrouper les forces qui étaient d’accord sur l’importance de le faire. 

On a écrit un argumentaire collectivement, pour nous donner de la force, aller chercher à convaincre chaque organisation et provoquer des discussions en leur sein. On a ouvert notre texte à signature pour concrétiser notre démarche. On s’est adressées à toutes les organisations, pas seulement à celles qui nous paraissaient les plus proches. Le fait d’être des militantes féministes sans être impliquées directement dans un cadre féministe a pu nous être reproché, mais cela constituait aussi l’avantage de nous mettre à distance des débats internes au mouvement féministe, que l’on a découvert très divisé et avec de fortes animosités. 

La stratégie proposée repose sur l’objectif que chaque organisation s’engage dans le refus de la participation de Nemesis et Nous Vivrons, et que cela se concrétise de façon visible lors de la manifestation. On a donc proposé que les organisations arrêtent leur cortège – empêchant ainsi la manifestation de démarrer – tant que les 2 groupes seraient présents. 

En menant les discussions, on s’est rendues compte qu’on n’était pas les seules à réfléchir à avoir une réaction, cette préoccupation était largement posée au sein du mouvement féministe qui est confronté depuis des années à des débats sur la place des luttes antiracistes et anticolonialiste dans le féminisme. Par contre, on s’est rendues compte également que la réponse dominante était purement technique, avec l’idée de mandater un service d’ordre dédié. Et en rendant notre appel public, pour en faire un enjeu politique pour tous·tes les manifestant.es, il nous a ainsi été reproché de faire de la pub à Nemesis et Nous Vivrons qui n’avaient pas encore annoncé leur participation, d’invisibiliser les revendications féministes, de mettre en danger les participant·es, de briser l’unité des organisations, de proposer une riposte collective impossible à mettre en œuvre. Bref, de proposer une stratégie contradictoire avec celle qui se dessinait au départ. Cela révélait en fait la difficulté du cadre unitaire à assumer ce positionnement. 

Malgré les attaques parfois assez dures contre nous, on a réussi à faire que ce texte soit diffusé partout, en persévérant dans la démarche d’aller dans tous les cadres de discussion liés à la préparation de la manifestation. Certains collectifs ont organisé des réunions alternatives pour préparer la réaction à la présence des sionistes et des fascistes. Nous y sommes également allées, mais en gardant la volonté de nous adresser à l’ensemble du cadre organisateur. 

Le jour J

Il y a eu beaucoup de couacs d’organisation qui méritent d’être discutés, des échanges chaotiques et les désaccords en amont sont réapparus faute de cohésion suffisante, mais le bilan est extrêmement positif. Le SO unitaire a bloqué l’entrée de la Place de la République à Nemesis et Nous Vivrons, le temps que tous les cortèges s’engagent. Puis, pendant plus de 5h, la majorité des cortèges était à l’arrêt puisque la police a permis que Nemesis et Nous Vivrons s’engagent sur la place. A l’arrière, des lignes de militant·.es de différentes organisations et de différentes mouvances politiques se sont constituées pour tenir à distance les cortèges et faire face aux charges de la police. Cela représentait sans doute des milliers de personnes au début. Les cortèges présents en tête de la manifestation, ceux des organisations féministes signataires de l’appel du CNDF (Collectif national pour les droits des femmes), sont les premiers à avoir mis fin à cette action coordonnée. Et la communication à l’ensemble des manifestant·es de la situation a été une préoccupation qui n’a pas suffisamment été prise en charge. Enfin, la communication post-manifestation de certaines organisations mentionnent uniquement Nemesis, montrant la difficulté à assumer d’avoir également exclu nous Vivrons.

La manifestation du 7 mars, organisée notamment par l’AG féministe Paris-Banlieue, a joué un rôle très important. C’est le collectif féministe qui a été le plus réceptif à notre appel. Il nous a proposé de construire la manifestation du 7 mars ensemble, autour de mots d’ordre antiracistes et anticolonialistes . Nous avons repris cette proposition en faisant connaître cette manifestation et en organisant un cortège autour des femmes résistantes palestiniennes. Les réactions n’ont pas tardé : attaques sur les réseaux sociaux, sionistes et fascistes transformés en lanceurs d’alerte qui interpellent l’État, Nunez – le Préfet de Paris – qui exige des organisatrices de se désolidariser d’Urgence Palestine et Samidoun pour autoriser la manifestation, manifestation interdite, référé libertés devant le tribunal administratif, manifestation autorisée 25 minutes avant ! Les organisatrices de la manifestation ne se sont jamais désolidarisées d’Urgence Palestine ou Samidoun. Nunez a présenté la manifestation du 7 mars comme une préparation du 8 mars, une convergence des luttes féministes et anticolonialistes pour virer les fémonationalistes. De notre côté, nous sommes allées demander à toutes les organisations présentes à la manifestation du lendemain de nous soutenir face à l’interdiction, ce qui a contribué à poursuivre les discussions sur la situation politique et la nécessité de faire front. 130 organisations et personnalités ont alors signé un communiqué qui reprend les arguments du texte du 8 mars

Quelles suites ?

Première étape dans la construction d’un front féministe antisioniste, le travail est encore long pour s’opposer à ces groupes, pour affirmer des positions résolument antisionistes et anticolonialistes dans le mouvement féministe. Mais d’ores et déjà, des collectifs se sont donnés rendez-vous pour préparer ensemble la manifestation du 23 novembre.

Des militantes d’a2c Paris et d’Urgence Palestine