Face aux agressions sexistes et sexuelles au sein de notre camp, gardons la boussole de l’autonomie de notre classe !

Les violences sexistes et sexuelles sont partout dans notre société et nos organisations n’en sont pas épargnées. À travers cet article, nous proposons de revenir sur ce qui a été mis en œuvre et sur les principes qui nous ont guidés suite au signalement du viol d’une de nos camarades. Nous souhaitons ainsi participer au combat contre ces violences qui pourrissent la vie de millions de femmes et sans lequel aucune perspective d’émancipation de notre classe n’est envisageable. De nombreuses militantes sont contraintes de quitter des organisations ou refusent de les rejoindre car la question des violences sexistes et sexuelles n’est pas prise en compte à la hauteur de ce que la situation exige. Trop souvent ces violences sont renvoyées à des conflits interpersonnels qui se régleraient de manière individuelle plutôt qu’avec une prise en charge collective qui permet de s’attaquer à une problématique systémique.

Les Cahiers d’A2C #05 – noveMBRE 2022

La démarche 

Notre première approche a été de mettre en place les mesures les plus appropriées pour la camarade au rythme qui lui convenait et de lui permettre de participer, si elle le souhaitait, à tous les aspects de la démarche.  

Ses demandes ont été les suivantes : 

– qu’une rencontre soit rapidement organisée avec l’agresseur ;

– que le recours éventuel à la police ou l’État soit écarté dès le début ;

– que l’agresseur soit suspendu des cadres militants et accompagné par des camarades ;

– que, tout au long de la démarche, son propre anonymat soit respecté ;

– que des outils, pratiques et réflexions soient développés pour que ça ne se reproduise plus.

La première rencontre avec l’agresseur a eu pour objectif de le confronter aux faits et d’avoir des premières explications. Nous avons proposé d’enregistrer cet entretien, uniquement à destination de la camarade, afin de lui permettre de l’écouter, si elle en ressent un jour le besoin. Le camarade a accepté cet enregistrement après avoir été informé de ce qui lui était reproché. Il a déclaré n’avoir eu ni l’intention ni conscience de commettre un viol. Cela n’enlève absolument rien à la gravité de ce qui s’est passé mais renforce l’idée que la culture du viol est malheureusement encore bien ancrée dans nos sociétés. Il a reconnu ses actes, a accepté d’en assumer la responsabilité et de respecter tous les besoins et demandes de la personne qu’il a violée.

En accord avec ses convictions politiques, la camarade a choisi de ne pas porter plainte. En revanche, il est apparu qu’il était indispensable qu’il y ait des conséquences pour l’agresseur, transformatives pour lui et restauratrices pour elle ; à savoir, qu’il soit suspendu de tous les cadres militants dans lesquels il intervient. Cela permettrait, à lui, de dégager du temps pour réfléchir et se former et, à elle, de ­continuer à militer de manière sereine. 

Une deuxième rencontre a permis d’argumenter auprès de lui de la nécessité de sa suspension, sachant qu’il s’était engagé à respecter les besoins de la camarade. Nous n’avons pas défini de délai quant à son potentiel retour dans les cadres militants qui dépendrait de ses avancées sur les questions des violences sexistes et sexuelles et des temporalités nécessaires à la femme violée. Nous lui avons également proposé de mettre en place un suivi le concernant, la reconnaissance des faits et de leur gravité étant un premier pas indispensable. Il s’est alors engagé à se former aux questions féministes par des discussions théoriques et à s’impliquer dans des groupes de parole antisexistes.

Suite à cette deuxième rencontre, il est apparu nécessaire d’informer les collectifs des faits, de sa suspension et de ce qui avait été mis en place. L’objectif était, notamment, d’engager une réflexion sur les suites et les outils adaptés, tout en respectant l’anonymat des protagonistes pour protéger celui de la première concernée et faire en sorte que la question soit prise en charge uniquement par les cadres militants. L’idée était aussi d’impulser un travail de fond pour que cela ne se reproduise plus et que nos organisations deviennent des cadres dans lesquels les femmes puissent militer en sécurité.

Au fur et à mesure, des outils ont été développés au sein d’A2C. Dans un premier temps, un mois après le viol, nous avons discuté lors de la réunion intermédiaire (qui a lieu tous les 2 mois, à distance) des principes nous semblant fondamentaux à ­appliquer dans ces situations. 

À l’occasion du week-end de formation et de débats d’A2C qui avait lieu cet été, nous avons organisé un atelier afin d’élaborer collectivement les besoins de notre organisation et de ses membres pour combattre le patriarcat et la culture du viol, prévenir et agir en cas de violences sexistes et sexuelles.

À la suite de cet atelier, un groupe de suivi des Violences sexistes et sexuelles (VSS) a été mis en place pour coordonner les discussions dans les cadres militants dans lesquels nous sommes impliqué·es, participer au suivi de la camarade concernée et de l’agresseur (s’assurer qu’il trouvera de quoi se former pour éviter la récidive), trouver des perspectives de formations collectives et individuelles sur les violences sexistes et sexuelles et mettre en œuvre les principes, les outils et les pratiques collectives adéquates.

Les obstacles

Malheureusement, comme souvent, nous avons rencontré de nombreux obstacles. La camarade concernée en a été la première impactée, puis ses soutiens, notamment dans leurs implications militantes. Ces événements ont mis en lumière les difficultés et les manques pour trouver, mettre en place, les principes, les outils et les pratiques collectives adéquates. Ils ont aussi affaibli la capacité-même de certains collectifs à continuer leurs activités.

Tout d’abord, certains et certaines remettent en question la parole des femmes violées et encouragent, ainsi, les personnes qui ont commis ces violences à les nier. Ils et elles inversent alors le poids de la culpabilité et ouvrent la voie à un véritable procès d’intention de la personne agressée. Notre devoir collectif devrait être de ne pas reproduire ce schéma dans nos milieux. Au contraire, la reconnaissance des faits par toutes et tous, notamment dans nos cadres militants, est un préalable à toute avancée pour agir contre les violences sexistes et sexuelles.

D’autres défendent l’agresseur en minimisant les faits, lui trouvant des excuses et insistant sur les valeurs qu’il défend comme s’il s’agissait d’un accident isolé ou d’un événement indépendant de sa volonté. Leurs arguments sont toujours les mêmes, l’agresseur serait indispensable à la lutte, trop important pour qu’on puisse l’écarter. Ils remettent en question sa suspension à chaque fois qu’ils en ressentent le besoin. Il y a une véritable focalisation sur l’auteur des faits et la personne agressée est systématiquement oubliée ou alors accusée d’affaiblir le collectif, le mouvement et les luttes.

Enfin, des militants et des militantes se cristallisent sur les procédés mis en place en les remettant perpétuellement en question plutôt que sur le viol et les violences systémiques. Beaucoup d’éléments dans la démarche mise en place ont été reprochés à la camarade et ses soutiens. 

Alors que rien n’est prévu pour accueillir la parole d’une personne violée, peut-on remettre en question la légitimité de celles et ceux à qui elle a choisi de se confier ?

Lorsque l’agresseur appartient à plusieurs collectifs et que les premiers et premières concernées sont d’accord sur sa suspension, doit-on attendre l’avis de chaque collectif pour l’acter ou le faire en laissant la discussion ouverte ?

Lorsqu’un texte est rédigé pour que l’accès à l’information soit le même pour toutes et tous et pour que des discussions soient engagées, doit-on se focaliser sur le mode de communication choisi, considéré par certains et certaines comme violent, ou sur la gravité des faits et donc le respect des demandes, des besoins et de la temporalité exprimés par celle qui les a subis ?

Comment éviter dans nos cadres militants, dans le mouvement et dans la lutte la tendance générale de nos sociétés à déléguer notre responsabilité collective aux institutions étatiques (police, justice, avocat, Centres médicaux psychologiques, etc.) ?

Sous prétexte de la protéger et de ne pas la culpabiliser, peut-on remettre en question la volonté de participation de la première concernée dans les démarches qui sont mises en place ou s’octroyer le droit d’intervenir sans en informer ni les premier·es concerné·es ni les collectifs ?

Enfin, nous avons fait face à une difficulté significative pour trouver un accompagnement des auteurs de violences afin d’éviter les récidives. Ce manque criant pose question, rien n’existe pour l’agresseur mis à part des solutions punitives.

Nos principes

Nous parlons bien ici de violences qui s’inscrivent dans le cadre de violences systémiques exercées par un groupe d’individus dominants (qui par ailleurs peuvent subir eux-mêmes d’autres oppressions structurelles) sur un groupe dominé. Les hommes, et davantage encore les militants, doivent impérativement prendre conscience des violences patriarcales qu’ils exercent à l’égard des femmes et interroger leurs comportements. 

Nous, militant·es, nous nous devons de respecter la parole et la volonté des personnes qui subissent des violences sexistes et sexuelles, nous nous devons de réfléchir et de mettre en place tout ce qui pourra permettre de les éradiquer, d’abord au sein de nos collectifs, puis dans la société :

– Mettre tout en œuvre pour que les personnes qui subissent ces violences puissent se confier, exprimer leurs besoins à leur rythme et en confiance. Doit-on mettre en place des cellules spécifiques ou faire en sorte que chaque membre du collectif soit en capacité d’accueillir cette parole ?

– Favoriser tout ce qui leur permettra de continuer à militer, si elles le souhaitent, sans s’inquiéter de la présence de leur agresseur et sans avoir à subir d’autres conséquences que celles entraînées par ces violences.

– Leur permettre, si elles le souhaitent, de participer à la construction des protocoles.

– Argumenter pour la suspension de l’agresseur de toute activité militante après l’avoir confronté aux violences qu’il a commises.

– Accompagner, quoi qu’il arrive, la personne qui a subi ces violences dans toutes les étapes qui lui semblent nécessaires.

– Faire en sorte que l’agresseur entreprenne un travail de transformation sur les questions des VSS et de formation sur les luttes féministes contre le système patriarcal. 

– Rendre compte aux collectifs militants concernés des faits qui se sont produits et des souhaits de la camarade qui a subi les violences.

– Mettre en place des outils de prévention et des discussions régulières sur la culture du viol et les violences sexistes et sexuelles.

Article rédigé suite à une discussion entre la camarade concernée, ses soutiens et le groupe de suivi A2C des Violences sexistes et sexuelles 

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