Aux origines de l’oppression des femmes

Nature humaine vs conditions matérielles

Dans l’imaginaire collectif, l’homme préhistorique était déjà guerrier et violent. La violence des hommes envers les femmes aurait toujours existé et ferait partie d’une « nature humaine ». Qu’en est-il vraiment ?

Les Cahiers d’A2C #07 – mars 2023

Selon Marylène Patou-Mathis1Préhistorienne et directrice de recherche au CNRS, il y avait peu de violences au Paléolithique, et dans les cas de violence avérée, l’observation de squelettes humains donne à voir des blessures cicatrisées. Les individus ont été soignés. Pour elle, « les premières traces de violences semblent apparaître avec la sédentarisation des communautés, qui débute il y a environ 14 000 ans et augmente au cours du Néolithique, période marquée par de nombreux changements environnementaux (réchauffement climatique), économiques (domestication des plantes et des animaux qui permet un surplus de denrées alimentaires – attesté par leur lieu de stockage), sociaux (apparition des élites et des castes et leur corollaire, la hiérarchisation et les inégalités) et de croyances (apparition de divinités et lieux de culte). »2Marylène Patou-Mathis, L’homme préhistorique est aussi une femme, Allary Editions, 2020.

Cette citation va dans le sens de ce que développe Engels en 1884 dans L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État qui s’appuie essentiellement sur les conclusions d’un anthropologue américain, pionnier de l’étude des sociétés primitives : Lewis Henry Morgan. Il postule qu’à l’origine, les humains ont vécu dans des sociétés sans propriété privée, sans division de classe et sans domination des femmes par les hommes. Pour lui, ce sont donc les changements dans la manière de coopérer des humains pour produire leur subsistance qui ont mené au remplacement de ce qu’il appelle le « communisme primitif » par la succession de sociétés de classe, dont le capitalisme est la plus récente. Au sein de ces modèles de sociétés ont existé différentes formes de familles et différents rapports d’oppression des femmes.

Cet ouvrage est aujourd’hui critiqué, même chez les marxistes : il est daté et bon nombre d’éléments sont erronés. En effet, cet ouvrage a été écrit il y a 150 ans, alors que les recherches sur les sociétés primitives n’en étaient qu’à leur balbutiement.

La domination des hommes sur les femmes a-t-elle toujours existé ?

Pour Christophe Darmangeat3Christophe Darmangeat est enseignant chercheur en sciences économiques et anthropologie sociale., auteur d’un ouvrage récent4Christophe Darmangeat, Le communisme primitif n’est plus ce qu’il était. Aux origines de l’oppression des femmes, Smolny, 2022. qui s’intéresse essentiellement à la question de la place des femmes dans les sociétés primitives, certaines thèses majeures d’Engels sont caduques. La domination masculine aurait existé durant la Préhistoire et ne serait donc pas un phénomène récent entraîné par le développement des inégalités économiques et des classes sociales. 

Selon lui, l’élément principal de l’oppression des femmes serait à chercher dans la division sexuée du travail qui apparaît dès le Paléolithique supérieur notamment à travers l’exclusivité de la chasse pour les hommes, et donc de la détention des armes et du pouvoir politique. 

Pour d’autres, comme Chris Harman5Militant, dirigeant du Socialist Worker Party (SWP) Parti révolutionnaire anglais et historien (1942-2009) ou Eleanor Leacock6Anthropologue féministe américaine (1922-1987), même si effectivement certains points de la théorie d’Engels sont erronés, il n’en demeure pas moins que l’essentiel de son analyse reste juste. 

Dans un texte intitulé « Engels et les origines de la société humaine »7Chris Harman, « Engels et les origines de la société humaine », 1994, Chris Harman s’appuie sur deux ouvrages majeurs d’Engels8Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme, 1876 et L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, 1884 et insiste sur la justesse de ses analyses.

L’archéologie, l’ethnologie et l’anthropologie : des disciplines longtemps exclusivement masculines qui biaisent les réponses

Comment vivaient les humains et quelle était la place des femmes au Paléolithique dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs et dans les premières sociétés agricoles et horticoles ?

Pour le savoir, il faut s’appuyer sur l’archéologie : les objets, les squelettes (marqueurs d’activités), les sépultures (tombes et biens funéraires), l’art (peintures, gravures, sculptures qui représentent des corps et des activités). Mais jusqu’aux années 1950, l’archéologie est un milieu d’hommes et l’idéologie sexiste domine. 

« L’archéologie du genre » ou « féministe » émerge au milieu des années 70 et va bousculer les codes. Ce courant dénonce l’orientation des recherches prioritairement sur la division sexuée du travail où les activités supposées valorisantes (production d’outils et d’armes, chasse et guerre) sont attribuées aux hommes. Mais également les interprétations faites à travers le prisme du déterminisme biologique et l’application de normes occidentales modernes construites autour de valeurs masculines à des sociétés passées.

Ce courant est crucial car il a permis de connaître, au moins en partie, le rôle et le statut des femmes dans les sociétés anciennes. En partie, car il est très difficile encore aujourd’hui de savoir réellement comment vivaient nos ancêtres. Certes, les progrès de la science ont permis des avancées significatives, notamment avec l’analyse de l’ADN qui permet de déterminer le sexe des squelettes. Cependant, cela reste basé sur beaucoup d’hypothèses et d’interprétations.

L’ethnologie et l’anthropologie : la parole, les témoignages, l’étude des sociétés primitives et leur observation à l’époque moderne nous permettent d’aller plus loin dans les connaissances et l’analyse. Cependant, il faut là encore être conscient des déformations qui entretiennent la confusion sur la place des femmes dans les sociétés sans classe.

Eleonor Leackock dans « Le genre dans les sociétés égalitaires » nous alerte sur le fait que les anthropologues, majoritairement des hommes, interrogeaient d’autres hommes et ne questionnaient pas le statut des femmes.

Ensuite, elle note que les cultures analysées par les anthropologues existent dans un contexte colonial : « Les généralisations sur les cultures tribales sont trop souvent construites à partir des rapports ethnographiques du 20ème siècle sans prendre en compte le colonialisme, l’impérialisme et leurs effets à l’échelle mondiale. » Le déclin du statut des femmes a été accéléré par les pratiques patriarcales et les comportements importées par les européens.

Enfin, l’approche ethnocentriste dominante présuppose que la sphère publique serait masculine, et la sphère domestique féminine et qu’on élèverait les enfants de la même manière partout comme en occident.

Les sociétés de chasseurs-cueilleurs

Au Paléolithique supérieur (40 000 à 10 000 avant le présent), il y a une nécessité de coopération et de solidarité pour la survie du groupe. 

Les chasseur·euses-cueilleur·euses sont des nomades qui parcourent de nombreux kilomètres chaque jour. Les femmes sont autant actives que les hommes et pratiquent la collecte avec leurs enfants sur le dos.9L’invention du porte-bébé date du Paléolithique, une représentation existe sur un site archéologique en Allemagne, in Eric Pincas, Thomas Cirotteau, Jennifer Kerner, Lady Sapiens, Les arènes, 2021. 

Une régulation des naissances est nécessaire. Le mode de vie nomade impose des contraintes physiques nombreuses et les maternités sont espacées d’environ 4 ans. Cette régulation des naissances passe également par l’abstinence, l’utilisation d’herbes pour la contraception ou l’avortement, et en dernier recours l’infanticide.

Un investissement du groupe dans l’éducation. 

Élever un enfant n’est pas juste la charge de la mère. Le groupe s’investit auprès de l’enfant et de la mère. A partir d’un certain âge, tous les membres du groupe peuvent alimenter l’enfant par le prémâchage qui existe également dans certaines sociétés actuelles.

La garde des enfants est aussi un service que peuvent rendre les différents membres de la communauté, hommes comme femmes.

Physiquement, on observe une robustesse des membres supérieurs gauche et droit, qu’il s’agisse des hommes ou des femmes.

Les femmes étaient robustes avec peu de surplus de masse graisseuse : le gibier étant une viande maigre (les animaux d’élevage n’apparaissent qu’au néolithique). 

Il ne faut donc pas voir dans les représentations des opulentes « Vénus » sculptée dans la pierre une représentation du physique des femmes de l’époque. 

La question du pouvoir 

Parler de «chef·fe » dans ces sociétés ne serait pas approprié : il s’agit de sociétés relativement égalitaires. Cependant, des personnalités peuvent devenir centrales pour leur talent de chasseur, leur capacité à gérer des conflits, ou à soigner.

Certaines femmes accèdent à un statut particulier en fonction de ce qu’elles ont fait pendant leur vie : quand elles ont aidé le groupe à survivre dans des situations difficiles, par exemple. 

On retrouve dans certaines sépultures du Paléolithique des vêtements ou ornements qui indiquent un statut particulier de certains individus.

Concernant la division du travail 

Les recherches archéologiques ont montré que la forte musculature des femmes de la préhistoire n’est pas sollicitée de la même manière que pour les hommes.

Chez les hommes, on observe des activités uni manuelles, qui peuvent être caractéristiques du lancer mais peut-être également d’autres activités, comme la taille du silex par percussion, l’utilisation de haches ou d’armes de chasse.

Il a été observé de petits arrachements osseux à la suite de blessures au niveau des articulations du coude chez nos ancêtres du Paléolithique. Chez les lanceur•euses de javelot, on observe des pathologies similaires. Sur les squelettes présentant ces blessures, 95 % sont des squelettes d’hommes. Sébastien Villote, archéologue, précise que l’on dispose de peu de squelettes de cette période et que ce qui est vrai pour l’Europe au Paléolithique supérieur ne l’est peut-être pas ailleurs.10Sébastien Villote in Lady Sapiens, Les arènes, 2021 

La majorité des anthropologues et archéologues soutiennent qu’ailleurs dans le monde les activités sont assez équitablement réparties et que la distinction homme chasseur, femme collectrice n’est peut-être pas aussi tranchée. 

De récentes découvertes sur un site archéologique au Pérou qui date de 8000 ans avant le présent vont dans ce sens. Cinq fosses funéraires ont été fouillées et six individus en ont été exhumés. Deux d’entre eux étaient accompagnés d’une panoplie de chasseur : un homme d’une trentaine d’années et une femme de moins de 20 ans. Par ailleurs, cela ne serait pas un phénomène isolé. 10 sites américains (entre 12000 et 8000 avant notre ère) ont livré 11 sépultures féminines associées à des armes, ce qui remettrait la division stricte des tâches en question.11Ibid.

Les femmes avaient-elle le droit de chasser ?

La théorie de l’interdit du sang pour les femmes existe pour certains groupes. Les femmes donnant la vie, elles ne pourraient donner la mort. « L’utilisation d’armes de chasse perforantes est l’activité la plus genrée dans les groupes humains observés en ethnographie. Cette activité est plus souvent pratiquée par les hommes.»12Ibid.

Mais les interdits et les tabous ne sont pas valables partout. Nous avons l’exemple des femmes Agtas des Philippines connues pour chasser à l’arc et à la machette.

Par ailleurs, même si les femmes étaient exclues de la mise à mort, elles avaient une place très importante dans l’acquisition de protéines animales. Avec les enfants, elles pouvaient participer à la capture du gibier. D’ailleurs, l’essentiel de la nourriture provenait des petites chasses, du ramassage et des collectes. Chez les Sans du Kalahari, 75 % de l’apport de nourriture est le fait des femmes, la grande chasse restant quelque chose d’exceptionnel partout dans le monde.13Ibid.

Selon Marylène Patou-Mathis, la répartition des tâches se faisait davantage en fonction des aptitudes et compétences, voire des goûts de chacun·ne. L’objectif étant l’efficacité mais également la préservation de l’entente du groupe.

La division sexuelle du travail : signe de la domination des hommes ?

Pour Chris Harman, malgré la division du travail entre hommes et femmes, la cueillette procurant une part plus importante de la ration alimentaire que la chasse, il n’y a pas nécessairement une évaluation plus haute du travail des hommes. Cela est cependant le cas dans les sociétés où la viande est la composante essentielle comme chez les aborigènes australien·nes, où les hommes sont considérés comme supérieurs aux femmes. Mais il note que même dans ce cas, les femmes comme les hommes prenaient part aux décisions pour le groupe.

Dans certaines sociétés, il existe une forme de hiérarchie mais pas d’oppression systématique et les femmes peuvent s’opposer aux décisions de leur mari. Cela tiendrait en partie au fait qu’il existe des sociétés matrilinéaires14La descendance est établie dans la lignée féminine. Les liens les plus importants de l’enfant ne sont pas avec le père qui appartient à un lignage différent mais avec sa mère et le frère de sa mère. La responsabilité d’un homme n’est pas envers ses enfants biologiques mais envers ceux de sa sœur. ou matrilocales15Un homme s’installe dans un foyer dirigé par sa femme, les sœurs et la mère de celle-ci..

Pour Harman, ce n’est pas la division du travail en soi qui crée la domination mais lorsque les femmes n’ont plus un rôle central dans la production et que les sociétés deviennent essentiellement patrilinéaires. 

Pour Christophe Darmangeat, l’importance de la filiation a été surestimée pour comprendre le statut des femmes dans les sociétés primitives. Dans plusieurs sociétés, la filiation n’était pas unilinéaire, il y a eu coexistence de tribus matrilinéaires ou patrilinéaires.

Certaines tribus d’Australie ou encore de Nouvelle-Guinée étaient organisées de façon matrilinéaire pour certaines et de manière patrilinéaire pour d’autres. La situation des femmes n’en était pas altérée. Selon lui, l’ethnologie a démontré que la filiation matrilinéaire ne signifiait pas que les femmes avaient une position plus favorable.16Voir « Matrilinéarité et situation des femmes » in Christophe Darmangeat, op.cit.

Par ailleurs, le sexe a été le critère principal de division du travail dans toutes sociétés primitives et si les tâches attribuées diffèrent d’un peuple à l’autre, certaines comme la chasse ne varient pas. Selon lui, les hommes retirent un prestige de la viande qui est le mets le plus apprécié et prestigieux. Il y aurait donc une valorisation sociale du chasseur.

Évolution de l’agriculture : un changement de mode de production aux conséquences majeures pour le statut des femmes

Au Néolithique (10 000 à 3000 avant le présent), c’est-à-dire avec le développement des sociétés horticoles et agricoles, les femmes ont un rôle très important dans la culture des plantes et la conservation des aliments mais les évolutions techniques et notamment la charrue pour le labourage va réduire sa place dans la production. Les femmes retournaient la terre à la houe, dorénavant ce sont les hommes qui vont labourer.

Ces changements dans la division du travail sont dus, selon Chris Harman, à la fois à des impératifs biologiques et à des besoins sociaux. Quand dans les sociétés de chasseur·euses-cueilleur·euses nomades, il y avait une nécessité d’espacer les naissances pour qu’aucune femme n’ait à s’occuper de plus d’un enfant à la fois, c’est l’inverse dans les sociétés agricoles : chaque enfant est potentiellement un cultivateur en plus.

De plus, avec la transition vers l’agriculture et le stockage de la richesse, qui peut être volée, on assiste au développement de la guerre dans les sociétés agricoles. Il faut donc compenser une mortalité plus élevée. 

C’est dans l’intérêt de la société dans son ensemble que les femmes ne participent pas aux activités comme la guerre, les longs voyages et les tâches agricoles lourdes. 

« Le résultat est que les femmes ont un rôle central dans la production, aussi bien que dans la reproduction dans les sociétés de chasseurs cueilleurs et d’agriculture primitive. Mais sont exclues des productions qui dégagent le plus grand surplus avec l’arrivée de l’agriculture lourde, la révolution urbaine, et le passage d’une société « communautaire » ou « d’association de parenté » à la société divisée en classes. »17Chris Harman, op. cit.

Avec le développement de l’agriculture, du stockage et de la guerre, la nécessité d’un contrôle social voit le jour et des chefs émergent. Ceux-ci échappent à la charge de travail et peuvent se comporter comme une classe exploiteuse. Cependant, la production est individuelle, elle repose sur le foyer (travail des cultures et soins aux bêtes) mais le mode de production reste commun et basé sur le partage. Chris Harman parle de contradiction de la production car la survie de la société dépend à la fois de l’activité individuelle des foyers qui assurent la production et du partage coopératif et altruiste à l’intérieur du groupe qui assure la reproduction. 

Ainsi, on ne peut pas encore parler véritablement de sociétés de classes. Pour que les sociétés agricoles le deviennent, le commerce extérieur et la colonisation ont joué un rôle majeur.

Pour Darmangeat, l’élément décisif pour la situation des femmes se situe beaucoup moins du côté des classes sociales et de l’Etat en eux-mêmes que du côté de l’intensification de l’agriculture, soit de l’utilisation de la charrue et de l’irrigation qui excluent les femmes de la production. 

Pour cela, il s’appuie sur des exemples de sociétés étatiques qui ont laissé aux femmes une place dans l’appareil hiérarchique autre que « première servante » (les Yoruba, le Dahomey, les Incas). Ces sociétés ne pratiquaient pas une forme intensive d’agriculture.

Le royaume du Dahomey situé au sud-est de l’actuel Bénin possédait une force armée qui regroupait plusieurs milliers de combattantes18Voir le film de Gina Prince-Bythewood, The Woman King sortie en salle en septembre 2022.. Sa fondation remonterait au début du 18ème siècle. La participation des femmes à l’appareil d’Etat ne se limitait pas à sa force armée. Les postes au sein du gouvernement étaient occupés par des femmes comme par des hommes. 

Des sociétés égalitaires sans domination masculine ont-elles existé ? 

Dans son texte Le genre dans les sociétés égalitaires, Eleanor Leacock décrit le statut des femmes chez les indiens Naskapi Montagnais de la péninsule du Labrador (Canada oriental) à partir d’observations d’européens au XVIIe siècle.

Elle explique que ces sociétés égalitaires se sont transformées avec le passage du partage au troc puis au commerce généralisé et la spécialisation du travail.

Elle a démontré que le commerce de fourrures avec les blancs a profondément changé les rapports entre les sexes au bénéfice des hommes. 

Christophe Darmangeat note que l’impact dévastateur du marché capitaliste a pu être observé pour beaucoup d’autres sociétés primitives mais il montre également qu’il existe des cas de sociétés économiquement égalitaires de chasseur·euses-cueilleur·euses dans lesquelles se manifeste une oppression des femmes sans que cela puisse être mis sur le compte du contact avec des sociétés plus développées. 

Ainsi, il cite des exemples de sociétés économiquement égalitaires dans lesquelles les rapports entre hommes et femmes sont égalitaires : Les San ou Kung du Kalahari (Botswana Namibie), Les chasseurs-cueilleurs des îles Andaman (Birmanie), Les Mbuti de l’actuel Congo. Mais aussi des sociétés égalitaires économiquement mais où il n’y a pas d’égalité entre hommes et femmes : Les Selk’nam ou Onas de la terre de feu, Les Inuits, les aborigènes d’Australie.

Il en conclut que « la situation relative des sexes apparaît très variable d’une société à l’autre, avec à un extrême, un relatif équilibre entre femmes et hommes, à l’autre, l’infériorisation systématisée des premières, et toutes les modalités intermédiaires possibles »19C. Darmangeat parle « d’équilibre » plutôt que d’égalité car selon lui, il ne peut y avoir d’égalité s’il y a séparation entre des domaines masculins et féminins. Voir la conclusion de son ouvrage et son analyse du capitalisme et du salariat comme premier système à poser les conditions de la disparition de la division sexuelle..

Toutefois, il note que la participation des femmes aux travaux productifs apparaît partout comme une condition nécessaire d’une position favorable pour elles bien qu’elle ne soit pas suffisante.

L’analyse matérialiste permet de comprendre comment les relations sociales se construisent en fonction des moyens de subsistance et des changements de modes de production. 

La sédentarisation et le développement de l’agriculture intensive a amené un changement fondamental dans le statut des femmes car ce mode de production a généré du surplus, produit par les hommes, ce qui leur a donné une place dominante dans la société. Les femmes qui étaient centrales dans la production des moyens de subsistance en ont été écartées. 

L’évolution de la famille et le caractère de l’oppression des femmes dans les différentes sociétés de classes jusqu’à aujourd’hui, pourrait faire l’objet d’un prochain article et permettrait d’approfondir le débat.

Bien que de nombreux points restent encore à explorer et développer, à travers l’étude des sociétés primitives, on observe qu’il a existé des sociétés égalitaires sans domination systématique des hommes sur les femmes. Ainsi, l’oppression des femmes n’est pas l’expression de la nature humaine mais bien le produit de conditions matérielles et de développements historiques concrets. C’est fondamental car cela montre que la domination masculine n’est pas indépassable. 

Marie Périn
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Notes

Notes
1 Préhistorienne et directrice de recherche au CNRS
2 Marylène Patou-Mathis, L’homme préhistorique est aussi une femme, Allary Editions, 2020.
3 Christophe Darmangeat est enseignant chercheur en sciences économiques et anthropologie sociale.
4 Christophe Darmangeat, Le communisme primitif n’est plus ce qu’il était. Aux origines de l’oppression des femmes, Smolny, 2022.
5 Militant, dirigeant du Socialist Worker Party (SWP) Parti révolutionnaire anglais et historien (1942-2009
6 Anthropologue féministe américaine (1922-1987
7 Chris Harman, « Engels et les origines de la société humaine », 1994
8 Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme, 1876 et L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, 1884
9 L’invention du porte-bébé date du Paléolithique, une représentation existe sur un site archéologique en Allemagne, in Eric Pincas, Thomas Cirotteau, Jennifer Kerner, Lady Sapiens, Les arènes, 2021.
10 Sébastien Villote in Lady Sapiens, Les arènes, 2021
11 Ibid.
12 Ibid.
13 Ibid.
14 La descendance est établie dans la lignée féminine. Les liens les plus importants de l’enfant ne sont pas avec le père qui appartient à un lignage différent mais avec sa mère et le frère de sa mère. La responsabilité d’un homme n’est pas envers ses enfants biologiques mais envers ceux de sa sœur.
15 Un homme s’installe dans un foyer dirigé par sa femme, les sœurs et la mère de celle-ci.
16 Voir « Matrilinéarité et situation des femmes » in Christophe Darmangeat, op.cit.
17 Chris Harman, op. cit.
18 Voir le film de Gina Prince-Bythewood, The Woman King sortie en salle en septembre 2022.
19 C. Darmangeat parle « d’équilibre » plutôt que d’égalité car selon lui, il ne peut y avoir d’égalité s’il y a séparation entre des domaines masculins et féminins. Voir la conclusion de son ouvrage et son analyse du capitalisme et du salariat comme premier système à poser les conditions de la disparition de la division sexuelle.