Un vent de révolte s’est emparé de notre classe. Qu’il balaie le racisme !

Éditorial mars 2019

La crise d’hégémonie s’approfondit. Confrontée à une crise du pouvoir sans précédent, la classe dirigeante a recours à des moyens toujours plus brutaux pour espérer garder la tête hors de l’eau. Dans une période de polarisation de classe et de décomposition du champ politique, sa stratégie repose encore davantage sur l’approfondissement des politiques néolibérales, l’autoritarisme, l’exacerbation des clivages entre les différentes composantes de notre classe, sur le nationalisme et le racisme. Une trajectoire qui renforce les forces les plus réactionnaires mais qui ouvre également des possibilités, à l’image de la révolte des gilets jaunes.

Il n’y a pas de reflux de la trajectoire raciste et de la menace fasciste en France

Le mouvement des gilets jaunes n’est pas d’extrême-droite. Il s’agit essentiellement d’un mouvement de notre classe centré sur des revendications sociales et démocratiques . Pourtant il a dès les premiers jours été confronté au racisme. Dénonciation aux flics de migrant.es et agressions racistes par des gilets jaunes avaient tant suscité l’indignation que démontré une nouvelle fois qu’une partie de notre classe a accepté les arguments nationalistes et racistes. De ce fait, et en l’absence des cadres organisationnels du mouvement ouvrier, le mouvement pouvait potentiellement représenter pour les fascistes un débouché politique. C’est pourquoi ils ont tenté de l’infiltrer, profitant de la faiblesse historique du camp de l’antiracisme et de l’antifascisme.Depuis le début du mouvement deux phénomènes sont en cours: la chasse par des groupes d’extrêmes droites de militant.es de la gauche radicale et la formation d’un service d’ordre fasciste. Dans la capitale, le SO de l’extrême-droite a été non seulement repoussé par les antifascistes mais surtout dénoncé par les gilets jaunes comme une tentative de manipulation. A Lyon, les fascistes se sont fait repousser par le cortège antiraciste. Ailleurs ce sont les gilets jaunes eux-mêmes qui, acte après acte les ont éjectés des cortèges. A Strasbourg, les gilets jaunes ont convergé à l’acte XIV avec la manifestation des Kurdes demandant la libération des prisonniers politiques. A Caen, début janvier, les iels tenaient leur assemblée générale dans un squat de migrant.e.s.
Alors même que les fascistes entendaient empêcher la gauche et ses symboles d’apparaître, le mouvement n’a cessé d’évoluer vers la gauche, même si aucune victoire décisive contre l’extrême-droite n’a encore été remportée. Il n’y a pas de reflux de la trajectoire raciste et de la menace fasciste en France. Les migrant.e.s sont toujours traqué.e.s par les flics et les fachos, le Front National fait toujours plus de 20% d’intention de vote, la négrophobie et l’islamophobie fondent toujours le quotidien de près d’un tiers de notre classe. Les fascistes organisés se sentent autorisés aux opérations les plus folles: projets d’attentats, opérations aux frontières, ouvertures de locaux, attaques de rue etc.
Ce contexte rend toujours plus urgent de s’organiser et d’argumenter, notamment dans les AG et les manifestations de gilets jaunes, dans le sens d’une riposte antifasciste et antiraciste capable d’organiser la solidarité avec les migrant.e.s, de contester les entreprises de récupération de l’antiracisme par les principaux promoteurs du racisme, de débarrasser l’espace public, médiatique et politique des fascistes et de leur influence.
Cette riposte qui nécessite d’être plus nombreu.ses et plus organisé.es que les partisans des politiques racistes et les fascistes ne peut pas reposer uniquement sur une minorité révolutionnaire et anticapitaliste. Pendant trop longtemps la lutte antifasciste a été laissée à une minorité consciente de la nécessité d’abolir le capitalisme pour définitivement mettre un terme à la menace fasciste. Le fascisme est un mouvement de masse de la petite-bourgeoisie en partie autonome de l’Etat et de la bourgeoisie traditionnelle . Le combat contre ce phénomène est donc aussi en partie distinct de la lutte anticapitaliste et nécessite une autre tactique . La Grèce et l’expérience de KEERFA – Unis contre le racisme et la menace fasciste – nous donne un exemple de la mise en place d’une tactique victorieuse pour reprendre l’initiative et faire reculer les fascistes.

Diviser celleux qui devraient être uni.es …

En France, la crise ouverte par le mouvement des gilets jaunes a atteint le stade d’un affrontement en voie de généralisation. Pour justifier la répression et tenter de discréditer le mouvement, le pouvoir a parlé de foule haineuse, raciste, complice du terrorisme ou de l’étranger, et maintenant antisémite. On savait déjà que les classes dominantes instrumentalisaient l’antisémitisme pour poursuivre et renforcer leur campagne islamophobe ; elles le font à présent pour écraser un mouvement de classe d’une ampleur sans précédent.
Si l’on assiste à une telle violence politique et à une telle répression – des dizaines de milliers d’arrêté.es, de blessé.es, de mutilé.es, de condamné.es – c’est que le pouvoir, par ailleurs affaibli, est dans une radicalisation autoritaire. Années après années, l’Etat français s’est doté d’un arsenal répressif toujours plus violent – militarisation de la police, constitutionnalisation de l’État d’urgence, loi Asile-immigration, la liberticide loi « anti-casseurs » etc. Ce renforcement de l’État sécuritaire, doublé de l’offensive raciste, donne confiance et ouvre la porte aux fascistes et à toutes les forces qui se proposent de régler la crise avec des moyens encore plus extrêmes.

… ou unir celleux qui sont divisé.es

Mais à réprimer toujours plus durement et aveuglément, à force d’instrumentaliser l’antisémitisme de manière odieuse, de criminaliser les mouvements sociaux, Macron pourrait surtout souder entre eux les jeunes Noirs et Arabes des quartiers populaires, les gilets jaunes, les musulman.es, les militant.es impitoyablement réprimé.es etc. Un mouvement qui s’observe par ailleurs déjà dans la prise de conscience à l’intérieur du mouvement des gilets jaunes de l’ampleur des violences policières et de la véritable nature de l’État, dans leur volonté de se lier aux quartiers populaires, l’organisation d’actions en commun avec le comité Adama comme à Rungis ou l’annonce de gilets jaunes de se joindre à la marche contre le racisme d’Etat et les violences policières le 16 mars.
Pour élargir le mouvement et renforcer la contestation du pouvoir, de nouveaux secteurs de notre classe doivent entrer en mouvement. Ils ne peuvent le faire si le mouvement est perméable aux idées racistes et tolère la présence des fascistes. Les tactiques de division seront mises en échec par l’intégration par le mouvement lui-même des revendications des 1ers concerné.es et la participation aux échéances et actions antiracistes. La lutte contre le racisme n’est pas seulement une lutte « défensive » contre la violence de l’État et des fascistes. Elle est aussi une lutte offensive qui fait de l’antagonisme ouvert avec les intérêts de la classe dirigeante et des forces les plus réactionnaires le coeur de la dynamique du mouvement et du projet de transformation sociale. Le 18 décembre déjà, 10 000 personnes défilaient à Paris en solidarité avec les migrant.es, dont des milliers de travailleur.ses sans-papiers, à l’appel notamment de la CGT. Le 16 mars et après, l’urgence résidera donc dans la construction d’un mouvement de notre classe qui mette la lutte contre le racisme et le fascisme au centre de ses préoccupations. Un vent de révolte s’est emparé de notre classe. Qu’il balaie le racisme !

Gabriel Cardoen et Florian Klein

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