Les sans-papiers ouvrent la voie

Éditorial

Manif Acte 3 MNSP Marseille
Manifestation à Marseille, départ de la Marche nationale des Sans-Papiers, 19 septembre 2020

Ce 17 octobre, les collectifs de sans-papiers rassemblés au sein de la Marche des Solidarités ouvrent de nouveau la voie ! Ils l’avaient déjà fait le 30 mai, rappelant la différence entre mesures sanitaires et renforcement de l’État policier et raciste et rétablissant le droit de manifester. Ils démontraient alors à l’ensemble de la gauche qu’on ne peut défendre nos droits qu’en occupant la rue. Dès le 2 juin, des dizaines de milliers de personnes se rassemblaient devant le Tribunal de Grande Instance de Paris en soutien à Adama Traoré et George Floyd malgré l’interdiction de la manifestation. Mais le reste de la gauche est resté silencieux.

Parce qu’il faut taper plus fort 

Ce 17 octobre, la marche nationale des sans-papiers entre dans Paris ! Quatre marches composées de centaines de sans-papiers et de soutiens parti·e·s de Marseille le 19 septembre puis de Montpellier, Grenoble, Lyon, Strasbourg, Lille et Rennes se rejoignent aux portes de Paris et retrouvent des dizaines de milliers de camarades d’Ile de France et de nombreuses villes où la marche est passée et qui sont venues pour l’occasion ! Le 20 juin nous étions 50 000 à Paris, mais le gouvernement n’avait pas répondu. Alors les collectifs de sans-papiers ont continué à s’organiser partout dans le pays et se sont rejoints au sein de la Marche des Solidarités pour lancer cette marche nationale des sans-papiers avec le soutien de 270 organisations. Cette marche sera passée par 92 étapes pour rencontrer celles et ceux qui luttent.

Les collectifs de sans-papiers nous montrent la seule voie qui vaille : celle de l’action, de l’organisation et de l’unité. Celle qui leur a permis de manifester malgré l’interdiction le 30 mai à Paris et qui alimente leur détermination à lutter malgré leur situation de précaires parmi les précaires, amplifiée par le confinement dont elle révèle toutes les ambiguïtés et hypocrisie. 

Manif Acte 3 MNSP Dijon
Manifestation à Dijon, Marche nationale des Sans-Papiers – octobre 2020

Face à un pouvoir prêt à tout pour ne rien lâcher

En face, le monde que dirigent Trump, Poutine ou Macron s’écroule. Une fois de plus, avec la crise du coronavirus, les États sont intervenus massivement dans l’économie pour sauver les entreprises, démontrant l’ampleur de leurs mensonges sur l’absence de moyens pour sauver les services publics ou notre système de retraites. Mais ils n’auront pas pour autant permis de sortir de la crise : le pire est à craindre pour 2021, une fois que les mesures de perfusion d’urgence auront cessé. 

Il faut dire que les problèmes de l’économie capitaliste, basée sur la nécessité d’accumuler toujours plus de profits pour faire face à la compétition sur les marchés, ne datent pas du confinement. Mais la gestion de la pandémie du coronavirus illustre qu’aucun État adossé à l’économie capitaliste ne fera le choix de rompre avec cette logique, car il en dépend lui-même. Notre classe, et en particulier les racisé·e·s, ont tout à perdre à laisser la classe dirigeante nous imposer des mesures sanitaires qui ne sont décidées qu’au regard de l’intérêt du Capital.

Un récent rapport de MSF montre ainsi par exemple que si environ 1 personne sur 10 a été contaminée en Ile-de-France, on passe à 8 ou 9 sur 10 dans les foyers de travailleurs immigrés. Davantage précarisée, ayant moins accès à des soins réguliers, vivant plus nombreux/ses dans des logements plus petits, occupant les boulots « en première ligne », cette partie de la population a dû en plus affronter l’arbitraire policier autorisé à contrôler à tout-va. Car plus la situation échappe à tout contrôle, plus les décisions politiques seront renforcées par des mesures autoritaires et une intensification du nationalisme (donc du racisme). La bataille entre États pour les masques, ou celles pour la distribution à venir des vaccins est un exemple des tensions inter-impérialistes dont l’enjeu est de fournir au Capital national les meilleures garanties de profits et d’accumulation dans la compétition internationale. Aux attaques redoublées du Capital contre notre classe s’ajoutent donc des tensions croissantes entre blocs de capitaux et entre États. 

Plus que jamais, il nous faut donc militer contre le nationalisme, qui reste le plus puissant levier par lequel la classe dirigeante entend nous souder à sa dangereuse politique : tenue républicaine, ensauvagement, expulsion des migrants polygames, séparatisme islamiste, plus aucun jour ne passe sans une déclaration raciste du gouvernement, qui pavent la route aux fascistes. Les laisser faire nous conduira à la barbarie. C’est pour cela que la lutte des sans-papiers, et plus généralement les luttes antiracistes telles que les formidables mobilisations contre les violences policières à la suite du meurtre de George Floyd, nous ouvrent la voie. Leur combat devient de fait un combat antiraciste et antifasciste, contre l’État impérialiste, et anticapitaliste, pour la justice sociale, l’égalité et la dignité.

Manif Acte 3 MNSP Angers
Axe ouest de la Marche des Sans-Papiers parti de Rennes le 2 octobre 2020

Pourquoi ça marcherait cette fois-ci ? 

Qui est encore concerné par cette question ? Beaucoup n’ont plus le temps de se la poser. Que celles et ceux qui ont encore ce choix comprennent bien l’enjeu du moment ! Pour les sans-papiers, l’urgence de la lutte n’a jamais été aussi forte. Ils et elles ont été en première ligne pendant la crise, exploité·e·s dans les pires des conditions dans des secteurs qui ont continué à tourner ou perdant leur emploi sans chômage partiel, retenu·e·s dans les CRA, vivant à la rue ou hébergé·e·s dans des conditions précaires et insalubres ! Malgré cela, le pouvoir a refusé de répondre à leur mobilisation. Alors plutôt que de poser cette question, les collectifs de sans-papiers ont continué se structurer pour imposer un nouveau rapport de forces au gouvernement. Montrant ainsi que s’ils ne sont pas entendus aujourd’hui, ils iront plus loin, jusqu’à la régularisation de tou·te·s, la fermeture des CRA et un logement pour tou·te·s. L’autonomie de leurs collectifs et la solidarité dans la lutte leur ont depuis longtemps fait comprendre que la défaite d’un·e seul·e, c’est la défaite de tou·te·s. C’est la condition pour que le rapport de forces soit instauré et rappeler à toute la gauche que leur lutte est celle de tou·te·s. 

Cette lutte, comme d’autres avant elle, peut devenir l’exemple d’un pouvoir alternatif, qui raisonne selon les besoins et pas d’abord ce qui serait acceptable pour la classe d’en face. Mais elle aura besoin que se renforce la conviction que cela n’existera que par le nombre grandissant, la détermination et la cohésion de celles et ceux engagé·e·s dans la lutte. Nous avons besoin de renforcer le pôle de celles et ceux qui pensent que l’émancipation des travailleurs ne peut être que l’œuvre des travailleurs eux-mêmes, car ceux qui pensent autrement seront de plus en plus amenés à s’opposer aux mouvements d’émancipation de notre classe et à leurs revendications.

En 1983, la gauche n’avait pas suivi l’exemple proposé par les marcheurs pour l’égalité et contre le racisme, préférant construire un antiracisme sans les collectifs des quartiers populaires et stigmatisant toute tentative de convergence avec les fortes mobilisations de travailleurs immigrés. Une rupture profonde s’instaure alors entre les militants « des quartiers » et la gauche. Il en est de même quand Black Lives Matter, probablement le plus gros mouvement contestataire des USA (avec 15 à 25 millions de participant·e·s selon les estimations), remet en question le système policier et réclame le définancement de la police (« Defund police »). Le comité Adama mobilise immédiatement et partout en France, mais Jean-Luc Mélenchon explique au même moment que « On a le droit de rêver d’une société sans police comme on pourrait rêver d’une société où le loup et l’agneau vont boire ensemble à la rivière. Ce n’est pas un rêve interdit, c’est un beau rêve mais nous savons tous que ça ne peut être qu’un rêve. Donc il doit y avoir une police (…) ». Un triste avertissement à ne pas reproduire les erreurs de la gauche après la marche de 1983. 

Il nous faut partir des luttes locales, garder notre autonomie vis-à-vis des institutions et refuser les chefs auto-proclamés. Travaillons à partir de la réalité et de la diversité de notre classe pour convaincre le plus grand nombre de s’organiser et construire la lutte pour l’égalité des droits. Et quelles que soient les tentatives de ce gouvernement pour nous confiner, restons dans la rue ! Rencontrons-nous, organisons-nous pour répondre aux besoins de notre classe et luttons. Car plus la vie est brutale, plus la lutte est vitale ! Et si nous nous en donnons les moyens, la lutte va payer !

Mathieu P., Vanina G.

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