Du zbeul général à l’autonomie de classe

Éditorial

Sections syndicales de combat, assemblées de lutte, unité d’action contre le racisme et le fascisme, construisons l’autonomie de classe !

Les Cahiers d’A2C #08 – Mai 2023

Quatre mois. Quatre mois de mobilisations qui nous ont permis de créer du lien et des expériences communes de lutte entre militant·es, collègues, voisin·es, familles et ami·es. Quatre mois traversés par différentes phases avec différents rythmes. Quatre mois pendant lesquels ont émergé des questionnements, des débats.

Macron a annoncé le 17 avril « 100 jours d’apaisement ». Cette annonce est, en soi, un aveu d’échec pour un pouvoir dont l’objectif était, via les retraites, de briser tout mouvement de résistance et les organisations syndicales.

Mais le contenu de ces 100 jours est clair : Macron veut toujours nous mettre à genoux. La paix qu’il cherche est celle de la guerre des frontières, de la rétention, des matraques et de l’exploitation. Il n’y aura pas de paix. Pas de paix sans justice. Pas de paix sans égalité. Durant ces 100 jours c’est bien à nous de décider et de construire la suite, ensemble.

Les différentes phases du mouvement

Dès le 19 janvier 2023, à l’appel de l’intersyndicale, les gens descendent par centaines de milliers dans la rue pour marquer leur désaccord et exprimer leur colère. L’ambiance dans les manifestations est joyeuse et déterminée. Face à l’ampleur de la mobilisation, une confiance dans notre capacité à faire face et à faire reculer le gouvernement gagne les manifestant·es. Le gouvernement utilise le 47.1 dès janvier pour raccourcir les discussions au Sénat. Les mobilisations se poursuivent malgré tout. La détermination est encore très forte et plusieurs millions de personnes continuent de se mobiliser chaque semaine témoignant du rejet très puissant de cette réforme. Les vacances passent puis le 7 mars, une vague de manifestant·es répond à l’appel de l’intersyndicale.

Le 16 mars, Élisabeth Borne utilise le 49.3. Ce coup de force législatif a pour objectif de renverser le rapport de forces en faveur du gouvernement mais il a l’effet de White spirit sur le feu. En réponse, la mobilisation s’amplifie et change de forme. Des dynamiques de classe et une auto-organisation plus spontanée commencent à se mettre en place. Les jeunes rejoignent plus largement le mouvement ainsi que d’autres personnes non-mobilisées jusqu’alors mais qui voient dans le 49.3 la preuve que le gouvernement ne nous prête aucune attention. Les blocages et les rues remplies de manifestant·es sont hebdomadaires. Des AG du secteur de la culture émergent dans de nombreuses villes. Des corps de métiers comme les coiffeur·euses, les libraires ou le secteur médico-social s’impliquent pour lutter contre la réforme des retraites, mais aussi pour porter des revendications propres à leur secteur d’activité. C’est l’un des aspects marquants de cette phase du mouvement : d’un mot d’ordre commun – les retraites – le mouvement s’ouvre à des revendications plus spécifiques. Il devient un lieu et un moment de rencontres et d’organisation.

De nombreux secteurs de luttes agissent ensemble : les féministes du collectif NousToutes 35 à Rennes organisent un blocage économique aux côtés des syndicalistes, des militant·es de gauche se coordonnent avec des mouvements autonomes, des AG de quartier émergent. De nouveaux espaces de discussions sont créés avec la volonté de créer des ponts ou de renforcer ceux existants.

Le 25 mars des manifestations contre le racisme et la loi Darmanin ont lieu dans tout le pays tandis que 30 000 manifestant·es convergent à Sainte-Soline contre la construction de mégabassines. Le pouvoir utilise un niveau de violence inédit. Deux manifestants finissent dans le coma.

Le 14 avril est annoncé le verdict du conseil constitutionnel qui valide la réforme et rejette le référendum d’initiative partagée (RIP). Cela ferme toute solution institutionnelle dans la lutte contre la retraite à 64 ans.

Face à l’impasse de la stratégie des directions syndicales, la force du mouvement semble retomber. La semaine suivante, la mobilisation est en baisse. L’intersyndicale n’appelle pas à une nouvelle journée de grève et se concentre sur le 1er mai. Malgré la participation historique aux manifestations du 1er mai, la seule perspective donnée par les directions syndicales est… le 6 juin.

Un sentiment de défaite menace notre classe qui n’a pas construit de cadres d’auto-organisation à une échelle suffisante permettant de donner une alternative globale aux directions syndicales.

Mais dans ce vide où la colère n’a pas disparu, les personnes restent motivées et cette confiance gagnée permet la multiplication de différents fronts et la mise en mouvement, sur des questions moins globales. Beaucoup de discussions s’ouvrent et des débats sur la question du racisme et du Rassemblement National émergent.

Non, le mouvement n’est pas mort !

La mauvaise presse de Macron en France comme à l’internationale est flagrante. Mais le rejet est surtout un véritable rejet de classe dont témoignent les appels à « casserolades » aux heures de discours de Macron à la télévision, les coupures d’électricité par la CGT Énergie, la multiplication de grèves locales sur les salaires ou la mobilisation de masse du 1er mai.

L’absence de perspectives globales données par les syndicats (et les partis politiques) ne doit pas conduire à « passer à autre chose ». La retraite à 64 ans est une ligne rouge qui n’autorise plus de compromis.

Mais le mouvement doit se nourrir et se renforcer grâce à la multiplication des conflits qui sont encouragés par la combativité et la colère exprimées : luttes pour les salaires, les conditions de travail, la santé, l’éducation, la riposte aux ­violences policières, etc.

Ces multiples conflits, le développement d’une véritable guérilla sociale et politique, doit permettre de développer les outils d’auto-organisation qui ont été, jusqu’ici, une des principales limites du mouvement : sections syndicales de lutte, assemblées locales, comités de base, etc.

L’édito des Cahiers 07 « De l’huile sur le feu » évoquait la nécessité de décloisonner nos luttes et de casser le « conservatisme militant » car c’est bien « […] quand notre classe est réceptive qu’il faut […] prendre des initiatives et se servir du fruit du travail passé pour construire à un rythme qui serait impossible hors mouvement. » Gardons en tête que les périodes comme celles-ci sont des occasions idéales pour parler politique, conditions de travail, exploitation, logiques capitalistes et discriminantes. C’est le moment d’être généreux·ses, de partager nos outils d’organisation collective et d’aller vers celles et ceux qui n’ont pas encore de cadre militant. Et surtout, c’est le moment de ne pas lâcher la question de l’antiracisme. C’est le moment de se dresser contre le danger fasciste.

Contre le racisme et les fascistes : solidarité de classe !

Les interventions des membres du gouvernement contre les immigré·es, l’opération immonde à Mayotte, l’affirmation réitérée par Darmanin de la nécessité d’une loi « ferme » contre l’immigration, montrent à quel point la carte raciste va être utilisée pour tenter de clore la séquence actuelle. Cela dans une situation où le racisme empoisonne, à des degrés divers, des fractions importantes de notre classe. Dans une situation où le terreau xénophobe développé par le pouvoir ne peut que bénéficier aux fascistes.

Le 1er mai, Journée de solidarité internationale des travailleur·euses, le Rassemblement National organisait sa « fête de la Nation » au Havre, haut lieu des luttes ouvrières. Le 29 avril des courants racistes et fascistes appelaient à se rassembler à Saint-Brévin contre un centre d’accueil de ­personnes migrantes.

Le 3 avril à Poitiers, des fascistes de l’Action française ont bloqué, avec le soutien d’autres groupuscules venus d’Angers, l’université pour défendre le droit des étudiant·es « citoyens poitevins ».

Aujourd’hui plus que jamais, il est nécessaire d’investir partout la question de l’antiracisme et de l’antifascisme dans nos organisations, nos AG de quartier, nos associations, notre travail, nos familles, à l’école, à l’université et auprès de nos ami·es. Nous avons, au sein de ce mouvement, des occasions de se donner confiance et de la transmettre aux personnes qui souhaitent investir cette lutte.

Au Havre les organisations qui avaient appelé à manifester contre la venue du RN ont été rejointes par des manifestant·es de la région (notamment de Rouen) ainsi que par une centaine de manifestant·es venu·es de Paris dont la moitié étaient des membres des collectifs de sans-papiers.

Les milliers de participant·es au concert de Médine en fin d’après-midi ont réservé un accueil enthousiaste aux discours antiracistes et antifascistes des sans-papiers et des collectifs de la Marche des solidarités

À Saint-Brévin plus de 300 manifestant·es ont conspué les 150 fascistes rassemblés. À Poitiers les fascistes se sont fait chasser par des étudiant·es sur place, qui n’ont, par ailleurs, reçu aucun soutien de la part des responsables de l’université sous prétexte que « tout le monde peut s’exprimer ».

Ainsi, la suite du mouvement, c’est partout où nous intervenons en tant que militant·es ou non.

La suite, c’est à Paris, le 13 mai à la Marche des personnes trans et intersexes (et celleux qui les soutiennent) appelée par ExisTransInter pour une journée de lutte contre la loi Darmanin et contre les frontières.

La suite, c’est d’organiser d’autres « Barbecues contre Macron » comme celui du Collectif Rennes Sud Mobilisé, d’autres cortèges des Book Blocks contre Darmanin ou encore d’autres festivals comme Big Up, weekend féministe et antiraciste, sportif et culturel.

La suite, c’est le soutien à chaque grève organisée dans notre secteur ou dans notre quartier.

La suite, c’est le combat pour l’autonomie de notre classe, de ses organisations, de sa stratégie, de ses idées et analyses.

Mathilda Demarbre et Maria Martin, Rennes
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