Extinction Rebellion n’est pas un mouvement homogène

Réponse d'un militant XR à A2C

Cet article est une réponse d’un militant d’XR à notre article sur la stratégie de la non-violence au sein de ce mouvement.


Si le consensus non violent est partagé par l’ensemble des membres d’Extinction Rebellion (XR), il existe néanmoins des discussions voire des divisions sur, d’une part, la définition de la violence, (un tag « céramique la police », un bris de vitrines sont-elles des actions violentes ?) et d’autre part, la position d’Extinction Rebellion vis-à-vis d’autres collectifs ayant, eux, recours à l’action directe. Voici à grands traits une description des deux courants présents au sein d’Extinction Rebellion. Cette description ne recoupe pas parfaitement la réalité qui est évidemment plus complexe, car beaucoup de membres d’Extinction Rebellion ne se reconnaîtront dans aucune de ces tendances leurs positions pouvant osciller de l’une à l’autre. Néanmoins, ces deux tendances ont une réalité concrète à l’intérieur d’Extinction Rebellion et ont une influence directe sur la stratégie du groupe et la nature des actions menées.

A qui s’adresse la non violence ?

Comme mentionné plus haut, le consensus de base d’XR est d’être non violent. Une fois cela acté, la division autour de la question de la violence dans Extinction Rebellion porte sur le rapport d’XR aux groupes assumant les actions directes et les affrontements avec la police.

Une première tendance considère qu’Extinction Rebellion doit respecter les divers modes d’action d’autres groupes contestataires et que l’exigence de non violence ne s’adresse qu’aux membres d’Extinction Rebellion. Cela veut par exemple dire que les membres d’XR n’ont pas à effacer des tags écrits par d’autres sur des actions, même si celles-ci sont menées par XR. Par ailleurs, cela peut même aller jusqu’à accepter de faire des actions communes avec des groupes d’action directe violente à la condition de clairement identifier des zones d’affrontement et des zones pacifiques. En d’autres termes, XR pourrait participer à des manifestations organisées comme le sommet des Amériques à Québec en 2001.

Mais, au sein du mouvement, il y a une tendance qui a une vision plus agressive de la non-violence, qui voudrait qu’à partir du moment où XR est présent dans une action, le consensus non violent le plus restrictif possible (incluant les tags anti-flics etc…) s’applique à la totalité des gens présents sur le lieu de l’action, membres d’XR ou pas et, pour faire respecter ce consensus, XR doit se munir d’une sorte de service d’ordre maison capable de sortir les gens de la zone d’occupation et d’un service de nettoyage informel (mais tout de même souvent occupé par des femmes) en charge de nettoyer les tags.

Quelle vision de la place d’XR dans le mouvement global?

La division sur la place de la non violence dans les actions d’XR au sein d’XR recoupe en fait une division plus profonde qui est celle de la place d’XR dans le mouvement global. Division entre une partie d’Extinction Rebellion qui considère qu’Extinction Rebellion a pour vocation d’être hégémonique dans la contestation, dans le sens où Extinction Rebellion deviendrait suffisamment gros et efficace à court terme pour forcer l’Etat à satisfaire les 4 revendications du mouvement, et une autre partie qui considère qu’Extinction Rebellion a sa place dans le mouvement social, au côté des Gilets Jaunes, des syndicats, des militants autonomes, des militants de partis etc… Bref, qu’XR est une composante de plus dans le mouvement global de contestation.

La tendance « hégémonique » justifie sa conception d’XR en articulant deux croyances. La première est le fait que, selon eux, le problème écologique est le problème le plus important, celui qu’il faut régler en premier, qu’il est totalement indépendant des problèmes de racisme, de répartition des richesses ou d’inégalités entre les femmes et les hommes. L’autre croyance est que la tactique non-violente est la seule qui peut permettre de changer les choses et de mobiliser 3.5% de la population, seuil nécessaire selon les « travaux » de Chenoweth. En fait, cette tendance a une vision dépolitisée de la lutte contre le changement climatique et de la place d’Extinction Rebellion dans celle-ci et ne perçoit pas les contradictions et les antagonismes de la société qui doivent être surmontés pour changer les choses. Cette tendance à la dépolitisation s’explique notamment par le fait qu’une large partie des militants partageant cette vision d’XR sont des gens qui se sont mis en mouvement via les théories de l’effondrement de Servigne and co ou qui pensent que le problème environnemental est avant tout un problème technique. Alors, il suffirait de trouver des solutions techniques, de faire de l’éducation populaire et du lobbyisme institutionnel pour que ces solutions soient reprises par les différents gouvernements quelles que soient les politiques qu’ils mènent. En ignorant complètement la violence institutionnelle de haut en bas, ils considèrent la violence de bas en haut comme une provocation plutôt qu’une réponse. Mais cette tendance a pour elle d’apporter beaucoup à l’efficacité opérationnelle et organisationnelle d’XR. Car là encore, la lutte écologique étant vu comme un problème technique à traiter, le militantisme devient lui aussi une affaire technique d’organisation et de gestion. C’est pourquoi cela débouche sur des actions comme celle de la place du Châtelet, impressionnantes d’un point de vue de l’organisation et de la gestion, mais assez vides politiquement et assez inoffensives.

L’autre tendance dans XR est plutôt constituée de militants politiques, au sens où la question climatique est intégrée dans la situation politique globale. Cette tendance est plutôt constituée de militants anticapitalistes qui ont déjà milité dans d’autres cadres qu’XR et qui ont des contacts avec le reste du mouvement social. C’est cette tendance qui a organisé le blocage d’Italie 2 avec le comité Adama, des Gilets Jaunes, des Gilets Noirs. En ce moment, des rebelles se sont engagés dans le mouvement contre la réforme des retraites. Les actions menées ont été notamment des blocages d’entrepôts amazon, des sabotages de trottinettes électriques. Les communiqués autour de ces actions ont mis en avant la nécessité écologique de lutter contre les trottinettes électriques ou amazon mais aussi la nécessité tactique de participer au mouvement contre les retraites en amplifiant le blocage des transports et en neutralisant les casseurs de grève. L’action de sabotage des trottinettes a provoqué de vifs débats en interne, mais le succès de l’opération et le travail de fond d’argumentation politique à l’intérieur d’XR ont permis de convaincre beaucoup de rebelles que politiser la lutte d’Extinction Rébellion et l’intégrer dans le mouvement global est inévitable pour avoir une chance de changer les choses.

A l’heure actuelle, il est difficile de savoir combien de militants sont plutôt proches d’une tendance ou de l’autre, mais, ce qui est sûr c’est que la tendance politique n’est pas groupusculaire ou inaudible et le nombre de militants présents à Italie 2 et l’écho de l’opération de sabotage de trotinettes le prouve largement. Il est donc particulièrement abusif et caricatural de dire que « Les rebelles de XR condamnent d’emblée toute forme de violence »1Mouvement pour le climat – Doit-on faire de la non-violence une stratégie pour gagner?.

La non-violence un faux débat

Le débat de la violence versus la non-violence d’Extinction Rebellion occupe une place disproportionnée dans l’analyse du mouvement par d’autres groupes politiques notamment au vu du peu d’intérêt de la question dans la période.

La pertinence du recours à la violence ne se juge qu’à l’aune de l’objectif politique poursuivi et de la situation. Mais, aujourd’hui, trop de contributions militantes parlent de façon abstraite du recours à la violence ou de son efficacité historique et ont tendance à vouloir faire du rapport à la violence une ligne de démarcation entre un militantisme utile et un militantisme inefficace à tendance idiot utile.

Mais la question de la violence ne se pose pas qu’en termes d’efficacité historique ex-post, mais aussi en terme de capacité de mobilisation. Le fait d’avoir un groupe militant revendiquant l’action non violente permet à des personnes voulant faire de l’action directe sans s’affronter directement avec la police de trouver leur place dans la contestation. Permettre à tous de rejoindre la lutte est une condition nécessaire pour le changement. Par ailleurs, l’expérience montre chez Extinction Rebellion qu’un nombre important de rebelles rentrant dans XR en n’aimant pas du tout les slogans anti-flics ont tendance à reconsidérer leur position en subissant le harcèlement des policiers dans la rue et en voyant leurs droits élémentaires systématiquement bafoués.

Finalement la question qui se pose à nous tous n’est pas de connaître la position respective de chaque groupe politique vis-à-vis du recours à la violence ou de tracer des lignes entre bons et mauvais militants, entre formes nécessaires ou inutiles de mouvements. La question est de savoir quelles sont les formes de mouvement dans lesquelles les militants révolutionnaires doivent s’impliquer pour avoir un impact. De ce point de vue, Extinction Rebellion est un mouvement qui attire du monde et notamment des gens très motivés pour changer les choses. Alors en s’impliquant, en menant les actions avec détermination, en menant des discussions politiques de fond sur la situation et la stratégie et les liens d’XR avec le reste de la contestation, il est tout à fait possible de faire d’XR une organisation sur laquelle compter pour frapper ensemble sur le même clou.

Paul Vadori
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