Pourquoi il ne peut pas y avoir de bonne loi sur l’immigration

Au moment où l’enjeu est d’amplifier la mobilisation contre la loi « Asile/immigration 0 », raciste, liberticide et meurtrière, l’idée de ce topo est d’inscrire cette loi dans la trajectoire du Capital, et donc de la saisir comme un aboutissement (forcément provisoire) du processus de radicalisations raciste des bourgeoisies européennes. Et ainsi de comprendre concrètement comment un gouvernement élu soit disant pour « faire barrage au FN » peut, en presque toute quiétude (politiciennes du moins – c’est l’enjeu des mobilisations en court et à venir que de ne pas le laisser faire impunément), faire passer une loi réellement d’extrême droite (si le FN a tactiquement voté contre à l’Assemblée, il a voté pour les articles les plus dégueulasses). Et ainsi nous pourrons débusquer effectivement ce fameux « arc d’extrême droite » dont parle Lordon dans le dernier Lundi Matin.

Il ne va pas ici s’agir de détailler une à une les saloperies contenues dans cette loi immonde, mais de voir les ruptures (et continuités) qu’elle induit avec l’ordre « normal » de la légalité bourgeoise. Par son intitulé même, qui lie « Asile » et « Immigration », deux réponses de la bourgeoisie aux flux migratoires (par ailleurs statistiquement stable sur le long terme) traditionnellement séparées : l’une relevant de principes généraux (en apparence humanistes) ; l’autre de nécessités économiques. Par son application avant même d’être formellement validée par le parlement (certaines préfectures appliquent les délais de recourt de la loi actuellement en discussion), cette loi incarne un pas en avant dans le basculement autoritaire des « démocraties » bourgeoises.

Cependant par de nombreux aspects, concrètement les plus menaçants pour les migrants et les sans papiers (pénalisation du travail « sous alias », délais de recours, allongement de la rétention, possibilité de rétention des enfants,…), elle ne fait  qu’aggraver des logiques contenues dans la longue litanie des lois, décrets et circulaires racistes (quelles soient de droites ou « socialistes »). On ne va donc pas ici discuter de ce que pourrait être une loi « de gauche » sur l’immigration, mais plutôt tenter de démontrer qu’il ne peut pas y avoir de « bonne » loi sur l’immigration

Toute loi sur l’immigration est nécessairement raciste :

Toute loi sur l’immigration instaure, de fait, un régime d’exception, régissant la vie sur le territoire d’une partie de la population: celle et ceux que l’Etat capitaliste désigne comme « étrangers ». Cela porte un nom, l’apartheid. Et c’est une certaine catégorie « d’étrangers » qui est visée : certains sont « migrants », « immigrés », « sans papiers »… d’autres « coopérants », « expatriés ». C’est donc clairement un critère raciste qui détermine celles et ceux à qui s’applique ce régime d’exception (qui d’ailleurs s’étend, en pratique, jusqu’aux personnes issues de migrations mais nées sur le territoire ou naturalisé, donc considéré, légalement, comme français)

Une loi sur l’immigration accrédite l’idée qu’il y aurait un « problème de l’immigration », que c’est les travailleurs « étrangers » qu’il faut attaquer et pas le racisme (et ses bases matérielles). Ce faisant elle offre à la bourgeoisie, relayée par les appareils idéologiques, dont les médias dominants, un bouc émissaire facile à la crise, l’insécurité, le chômage,….

Le débat même sur de telles lois donne raison aux partis fascistes (« ils posent les bonnes question… ») et donc les renforce et ainsi alimente l’autojustification du cercle vicieux de la surenchère raciste (« pour lutter conter le FN il faut appliquer son programme » -comme le pratique la  Macronnie réellement existante)

Toute loi sur l’immigration est concrètement inhumaine.

Déjà parce que les migrations sont un fait anthropologique majeur (de tout temps les populations humaines se sont déplacées, ce qui à fortement contribué à la survie de l’espèce)

Mais surtout, de part son existence même, une loi sur l’immigration instaure un tri entre êtres humains ; et c’est ce tri, en lui-même, qu’il nous faut refuser. Il n’y a pas et ne serait avoir une façon « de gauche » de trier les humains. Et pas (seulement) par humanisme abstrait, mais (surtout) car ce se sont nos sœurs et frères de classe qui sont l’objet de ce tri et qui en meurent tous les jours.

On peut ici prendre l’exemple de Saint Bernard et des « régularisations Jospin » : suite à un fort mouvement de sans-papiers, qui a culminé en 96 avec l’occupation de l’église Saint Bernard à Paris (et son évacuation à coup de hache « avec cœur et humanité »), le gouvernement « socialistes » élu peu après (en surfant sur la dynamique de lutte dans laquelle s’inscrivait le mouvement des sans-papiers) va procéder à une régularisation massive. La contre partie aura été la mise en place de critères de régularisation et la « décentralisation » de la gestion des régularisations vers les préfectures, c’est-à-dire l’institutionnalisation du cas par cas, l’éclatement géographique du mouvement.  Cela a eu des conséquences stratégiques sur les mouvements de sans papiers et de soutiens, qui ont encore des impacts dans les débats aujourd’hui.

Il faut bien saisir la nécessité idéologique/politique pour le système de nous faire accepter ce tri. Le capitalisme est le seul système dans lequel il peut y avoir « trop » de travailleurs (alors même que les besoins humains de base ne sont pas satisfait, et que certains se tuent au travail), car il n’est pas poussé par la satisfaction des besoins humain, mais tiré par la valorisation du Capital. Il crée donc ainsi une masse qui « ne compte, littéralement, pas », car exclues ou marginalisées de la participation à son cycle infernal de reproduction, les « surnuméraires » comme les appels Badiou. Il faut donc faire accepter que l’on peut, et plus que l’on doit, trier les être humains pour en exclure une part considérables des canons du mode de vie capitaliste, les condamner à la survie ou à la mort. On commence par les « étrangers » puis l’on peut faire accepter que l’on coupe les minima sociaux aux « nationaux ». On voit ici que ce qui s’expérimente aux marges en termes de politique policière et judiciaire, mais aussi en termes d’accès aux possibilités de survie ou de forme de sur-exploitation (Uberisation, ultra-précarité,…), a une vocation d’extension infinie vers le centre (Macron met les enfants de ses électeurs en garde à vue).

Toute loi sur l’immigration est forcément une attaque contre touTEs les travailleuSEs

La précarisation d’une partie importante de notre classe (un fRance on parle d’1/3) tire vers le bas les conditions d’existence de l’ensemble des travailleurs. Par exemple aux USA, les études sur la condition salariale du temps de la ségrégation montrent que la discrimination d’une partie des travailleurs tire l’ensemble des salaires vers le bas (voir le texte Notre Antiracisme).

L’argument, faussement de gauche, mais vraiment raciste, que les travailleurs immigrés tirent les salaires vers le bas (« ça arrange bien le Medef ») est aussi éloigné de la réalité qu’un DRH parlant du travail des salariés. Déjà les travailleurs migrants n’occupent pas les mêmes segments du marché du travail. Leur situation juridique les poussent souvent vers des activités rendues illégales (Travail du sexe, de la drogues) ou informelle (maïs chaud). Et même dans le cas d’une intégration plus ou moins complète à l’économie formelle (travail au noir pour les grandes entreprises via la sous-traitance, ou les petit patrons de resto, travail sous alias), ils occupent les placent les plus précarisées du salariat. L’exemple des récentes grèves dans les secteurs du nettoyage est à ce titre très parlant. Il nous dit que l’organisation de ces secteurs est un enjeu important car leur entrée en lutte peut être synonyme d’avancées pour l’ensemble de la classe. Les ouvriers spécialisés, donc majoritairement immigrés, de Talbot Poissy ont gagné en 1982 des revendications pour l’ensemble des ouvriers de l’usine : augmentations, liberté syndicale,… (cela n’a pas empêché que, 2 ans plus tard, ils se fassent délogés de l’usine qu’ils occupaient sous les Marseillaises et les encouragement à la police de leur « camarades » « français »).

En instaurant une division artificielle, mais qui a des effets très concrets, entre nous, l’Etat capitaliste cherche à créer une unité, toute aussi factice, entre exploiteurs et exploités nés sur une même parcelle du globe. Et ainsi tente d’enrôler les travailleuses et travailleurs dans la défense des  prétendus « intérêts  nationaux ». Quand on laisse se distiller ce poison dans notre classe, notamment par manque de clarté et de prise en charge concrète des questions concrètes qui se posent concrètement (exclusions de jeunes filles de l’école par exemple) par le mouvement ouvrier « traditionnel », c’est la capacité de résistance de toute la classe qui s’en trouve affaiblie, et donc l’emprise des capitalistes sur nos vies qui est renforcée.

Soyons réaliste…

Du point de vue des bourgeoisies, les lois « Asile/immigration 0 » ont le triple avantage :

  • D’alimenter l’autojustification de leur surenchère raciste, policière et militaire.
  • De rendre légitime l’idée qu’il est acceptable, « naturel », et même « nécessaire» de faire un tri entre être humain.
  • D’affaiblir l’unité, donc les capacités de résistance du prolétariat.

C’est pourquoi il nous faut lutter contre cette loi, et se saisir de ces moments de lutte  pour faire classe.

Ainsi, de notre point de vue de militantEs de classe, internationalistes, révolutionnaires, la seule revendication réaliste est l’abolition des frontières. Les frontières, ces « actes de violence d’un état à même un paysage », que l’occident a imposé partout, notamment en Afrique avec les conséquences dramatiques que l’on connait : marginalisations politique et économique du continents, conflits frontaliers, nationalisme… . Les frontières  ce lucratif bizness meurtrier sur lequel prospèrent des multinationales comme la française Thales ou l’espagnole Indra qui se sont par exemple spécialisées dans la production, la vente et l’entretien d’outils informatiques, et de dispositifs électroniques et militaires dédiés au contrôle des frontières (caméras thermiques, drones, etc.), ce qui correspond à un marché florissant et en expansion continue financé par l’UE et ses États. Les frontières comme système de ségrégation qui ne se limitent pas aux murs et barrière physique, mais donnent corps au racisme structurel, qui s’immisce partout dans le territoire et jusque dans notre classe. Certains nous diront que c’est impossible. Nous leur répondons que, comme bien souvent, demander ce qui est impossible dans la « réalité » capitaliste est le seul moyen d’être « réaliste » d’un point de vue ouvrier.

Présenté au groupe A2C-Paris le 29 mai 2018

TPP

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