La lutte contre les frontières et la création d’un syndicat de travailleur·ses sans papiers à Rennes

Éléments de situation à Rennes

Le squat d’Estramadure a été réquisitionné le 14 octobre 2018 pour 80 personnes exilées, sans papiers ou en procédure. Cette aventure a pris fin le 3 août 2019. C’est l’une des occupations les plus longues des dernières années, avec des assemblées chaque jeudi et de nombreux contacts.

Suite à l’expulsion de ce bâtiment appartenant au bailleur social de la Ville de Rennes, les habitant·es ont cherché de nouvelles options : maisons occupées, logements de « compatriotes », ou parc des Gayeulles. Dans ce parc au nord de Rennes s’est constitué un campement d’une vingtaine de tentes pour arriver à 360 personnes à la fin de l’été. En septembre, un contrôle de police a causé l’enfermement en CRA de 4 personnes : deux sont sorties, une a été expulsée, et le dernier, Ibrahim Condé, est toujours enfermé. Cela a poussé les habitant·es à fuir ce campement, pour trouver refuge dans un hangar. 250 personnes s’y trouvent, et l’insalubrité et les conditions de vie n’ont pas l’air d’émouvoir la mairie qui s’était pourtant engagée à ne laisser aucune famille avec enfants à la rue.

Au parc des Gayeulles à Rennes

Les 3 et 4 octobre, après des actions scandaleuses de la Préfecture et de la Mairie, 33 Géorgien·nes ont été arrêtées en Bretagne pour être expulsées de force par un vol Frontex. Il y aurait eu cette année des dizaines d’autres vols organisés par Frontex depuis la France. Deux personnes se sont ouvert les veines et n’ont pas été expulsées. Poussées au suicide pour ne pas retourner dans un pays qu’elles ont fui, voici une conséquence des politiques des frontières.

Depuis cette expulsion, l’inter-orga qui se réunit chaque lundi s’est renforcée, des assemblées de rue et un Comité anti-expulsions ont vu le jour. Par ailleurs, la police des frontières européennes Frontex recrute 700 agents, en plus des 1 500 actuels.

Pour des cadres permanents d’organisation

En parallèle de ces batailles, des collectifs luttent pour obtenir des papiers, et créer des solidarités concrètes. Cet été, plusieurs des membres de l’ancien “Réseau Solidarité Exilé·es” se sont rendus au Transborder Summer Camp, un événement organisé par des réseaux allemands (Afrique-Europe Interact, Alarm Phone, Welcome 2 Europe…) qui a rassemblé 500 personnes d’Afrique et d’Europe en lutte pour la liberté de circulation et d’installation. Nous y avons rencontré le syndicat de vendeurs ambulants de Barcelone qui lutte entre autres contre le harcèlement policier, et qui s’était constitué à la suite de l’assassinat par la police d’un des leurs, Mor Sylla. C’est alors que deux membres de notre ancien collectif ont profité de la présence de nombreuses personnes sans papiers et de camarades soutiens de Rennes pour appeler à une réunion et proposer la création d’un nouveau cadre de travail, en prenant en compte la question de l’autonomie des personnes sans papiers dublinées et les difficultés de l’année passée liées à l’éparpillement dans des considérations plus liées aux urgences du quotidien qu’à l’organisation d’actions collectives publiques.

Le syndicat, un outil pour l’autonomie et “faire de la politique”

Considérant que les personnes sans papiers sont aussi des travailleur·ses, et qu’elles travaillent dans différents secteurs informels ou sous alias, il semblait important d’axer les objectifs du collectif autour de la défense des camarades qui ont déjà accès au travail, et de trouver des activités rémunératrices complémentaires. C’est à ce moment que nous avons pensé au collectif de la Pâte Mobile, un collectif de boulangerie militante qui dispose d’un four à bois mobile. Après plusieurs réunions et discussions, nous avons décidé de vendre à prix libre du pain et des cookies, pour rassembler des fonds dont la majeure partie sera redistribuée entre les personnes dublinées sans revenus, et le reste (15%) financera le syndicat.

Grâce à cet argent et avec l’aide de Sud PTT, nous organisons une soirée de soutien aux travailleurs de Chronopost d’Alfortville en lutte depuis juin 2019 (voir bulletin n°8). Ce sera le premier événement du syndicat, où nous avons également invité des membres du Collectif des Sans Papiers du 20e arrondissement de Paris (CSP20). Nous discuterons des différents outils de lutte et des perspectives pour renforcer le rapport de force, les solidarités et la confiance nécessaire pour renverser le système des frontières, l’exploitation capitaliste et le racisme.

Solen et Arafan
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