Stratégie antifasciste : 5 exemples historiques pour ouvrir une réflexion

1- Ce qui n’a pas marché : l’Allemagne des années 30
2- Italie années 20 : Arditi del Popolo
3- France 1934, les origines antifascistes du Front populaire
4- Angleterre 1976-1979 : Rock against Racism et Anti-Nazi League
5- France années 90 : vers la scission du FN
 
Avertissements :
– D’autres exemples auraient pu être choisis. La priorité était de donner des exemples de montée du péril (et donc pas les situations où le fascisme est au pouvoir), de situations de fascisme endogène (plutôt que des cas comme l’Autriche par exemple dans les années 30) et d’éviter le cas de l’Espagne d’une situation de guerre civile où la question était posée directement dans les termes de fascisme ou socialisme.
– Comme dans tout exposé d’exemples historiques il faut absolumment faire attention aux contextes particuliers. Pour ne prendre qu’un exemple la nouveauté du phénomène fasciste dans les années 20 en Italie ou dans les années 30 en Allemagne fait que ceux et celles qui agissaient dans ces conditions n’avaient pas ce recul « historique » de ceux et celles qui connaissent la fin du film. Par ailleurs, tout comme la crise, le développement du fascisme a pris des formes plus rapides et violentes qu’aujourd’hui.
– Il n’y a pas dans cette présentation de « leçon » générale. Cet exposé était une introduction ayant comme objectif de nous donner une base pour nourrir nos réflexions pour aujourd’hui.

1 – Ce qui n’a pas marché : l’Allemagne des années 30 

Ce ne sont pas les forces qui manquent en Allemagne pour s’opposer à la montée des nazis.
Le parti social-démocrate (SPD) est le parti de masse le plus fort de toute l’histoire. En 1932, le SPD a une milice para-militaire (pour défendre la République) de 250 000 membres partie prenante et noyau d’une organisation de défense plus large, le Front de fer composé en plus de la Reichsbanner de membres d’associations sportives et de syndicalistes liés au SPD. Le Front de fer comporte 3 millions et 500 000 membres !
Le parti communiste issu d’une scission du SPD a aussi une organisation para-militaire « large » (on y reviendra) qui s’appelle l’Action Antifasciste (dont l’abréviation est L’Antifa) et qui comporte 100 000 membres. Le KPD « minoritaire » dans le mouvement ouvrier par rapport au SPD compte quand même 360 000 membres en 1932 !
Trois facteurs marquent la politique de la gauche allemande vis-à-vis du nazisme :

  • Une sous-estimation du danger
    Suite aux élections de novembre 1932 où les nazis perdent 2 millions de voix, le sentiment du SPD est bien reflèté par la réaction de Léon Blum en France qui déclarera que la voie au pouvoir est définitivement barrée aux nazis (Hitler est nommé chancelier moins de trois mois plus tard !).
    En 1932 Thälmann le dirigeant du KPD déclare : « Rien ne pourrait être pire pour nous que de surestimer de manière opportuniste la danger posé par le fascisme d’Hitler. »
  • Le sectarisme
    La ligne du SPD est la défense de la République de Weimar (construite sur la répression du processus révolutionnaire de 1919). De ce point de vue, pour les dirigeants du SPD cette République est mise en danger de manière symétrique par les nazis… et le KPD.
    Pour le KPD la ligne du parti c’est que le principal danger c’est le social-fascisme, c’est à dire le SPD. Même quand le KPD propose le front unique, celui-ci doit se faire sous la direction du KPD et en dénonçant la direction du SPD.
    Quand le KPD lance l’Action Antifasciste en avril 1932 la direction du SPD met en garde ses membres contre le fait que c’est une initiative visant à détourner ses membres et envoie une circulaire pour éviter les négociations locales avec le KPD.
    Sous la pression du Komintern (la direction de la IIIè Internationale), la direction du KPD indique à ses membres que les travailleurs socio-démocrates « ne sont pas prêts pour des actions unitaires ». L’Action Antifasciste réclame de ses membres par ailleurs d’accepter la direction du KPD de toutes les unités.
  • Légalisme d’un côté et révolutionarisme de l’autre
    Le motif principal du SPD jusqu’à la prise du pouvoir par Hitler et même après c’est le légalisme : ce sont les institutions de la République qui en sont le garant.
    Hilferding, dirigeant du SPD, ancien ministre (il mourra en camp de concentration) déclare lors d’une réunion extraordinaire de la direction du SPD le soir de la nomination d’Hitler comme chancelier fin janvier 1933 : que ce qu’il faut c’est exiger « la dissolution du parlement et de nouvelles élections ». Il ajoute « L’action extra-parlementaire n’est pas à l’ordre du jour ». Il faut préciser que Hitler acceptera cela et organise de nouvelles élections en mars 1933. Entre temps le KPD a été interdit et les milices nazies alliées aux forces de l’Etat empêchent toute campagne du SPD. Malgré cela les nazis ne gagnent pas une majorité absolue mais le SPD va être interdit peu après.
    Le journal du SPD, le Vorwärts sort une édition spéciale après la nomination d’Hitler dont l’édito dit « En face d’un gouvernement qui menace d’un coup d’Etat, la social-démocratie reste fermement sur le terrain de la constitution et de la légalité. »
    Le Front de fer et la Reichsbanner qui ont des plans extrêmement précis (rendez-vous de rassemblement dans tous les quartiers, armes, etc…) en cas de coup d’Etat ne recevront jamais d’appel à la mobilisation et à l’action.
    Du côté du KPD, l’analyse dominante, c’est que le fait même que la bourgeoisie fasse appel aux nazis est le signe d’une période révolutionnaire ! Dans ces conditions, le mot d’ordre c’est « Après Hitler, notre tour ! ». Cette analyse se maintiendra après la prise du pouvoir par Hitler. Dans la clandestinité les communistes seront héroïques mais leur stratégie offensive les conduira à être décimés. Déjà le 7 février (soit une semaine après la nomination d’Hitler alors que le KPD n’est pas encore interdit), lors d’une conférence secrète, Thälmann (dirigeant du KPD) admet que « le parti est menacé d’extinction » mais il ajoute que néanmoins qu’il faut utiliser « toutes les formes de luttes politiques et économiques quotidiennes pour arriver à la grève générale politique. Notre slogan, grève, grève de masse, grève générale ! ».
    La politique des directions syndicales est tragiquement pathétique. Faisant concessions sur concessions aux nazis, le syndicat ne cesse de rappeler qu’il est indépendant des partis politiques, qu’il défend les intérêts économiques des travailleurs, qu’il travaille avec les institutions « élues ». Lorsque Hitler fait du 1er mai une journée fériée de vacances nationales, le syndicat se félicite et appelle à participer aux manifestations organisée par le pouvoir, relativisant alors le coté international et mettant en valeur le côté national de la journée. Le 2 mai les SA investissent tous les locaux syndicaux et les syndicats sont interdits…
    Un exemple de répétition générale :
    En juillet 1932, un quartier ouvrier d’Hambourg se soulève et chasse les nazis malgré leur soutien par la police. Le Chancelier (c’est 6 mois avant la nomination d’Hitler) décide d’utiliser cela pour dissoudre le gouvernement de Prusse (SPD). A Berlin, le Front de fer se mobilise spontanément pour riposter dans la rue. La direction du SPD lance des appels à la légalité républicaine. Le KPD refuse de bouger « pour défendre un gouvernement local social-fasciste »…

2 – Italie : années 1920, Arditi del Popolo

Pour des raisons historiques, les partis (PSI et PCI) sont moins structurés qu’en Allemagne (fin 1922 le PSI a 80 000 membres et le PCI 25 000) mais leur politique est comparable.

Pour exemple, en mars 1921 le député socialiste Matteoti (il sera assassiné par les fascistes en 1924) intime « Restez à la maison, ne répondez pas aux provocations. Même le silence, même la lâcheté sont parfois héroïques ».

Le 28 octobre 1922, Bordiga, dirigeant du PCI déclare « La marche sur Rome n’aura jamais lieu ». Mussolini arrive au pouvoir… deux jours plus tard.

Au Printemps 1921, une organisation d’auto-défense unitaire se met en place à partir des organisations d’anciens soldats et sur l’initiative d’activistes hors du PSI et du PCI, influencés par un mélange d’idées anarchistes et républicaines. A Rome se forme ainsi l’Association nationale des Arditi (les Arditi étaient des troupes de chocs pendant la première guerre mondiale, réputées pour leur courage ainsi que pour leur relative indiscipline : une partie seront à la base des fascistes de Mussolini tandis que d’autres sont à gauche).

Un manifeste des Arditi del Popolo explique que « les fascistes doivent être désarmés et leur organisation interdite » mais ils n’attendent pas que ce soit fait par l’Etat car « ce sont les autorités elles-mêmes qui ont encouragé la création d’un mouvement fasciste, l’ont financé, armé et le protègent à chaque moment ».

Le 6 juillet 1921, une réunion nationale réunit 3000 Arditi à Rome. La manifestation organisée dans la foulée regroupe 50 000 manifestant·es, syndicalistes et cortèges du PSI et du PCI. Localement, des groupes se constituent avec des membres du PCI et du PSI. Dès l’été, l’organisation est active dans 56 provinces sur 71. Il semble qu’il y a rapidement plusieurs dizaines de milliers de membres.

Des manifestations sont organisées dans les quartiers ouvriers, les réunions se tiennent souvent dans les locaux syndicaux. Pour se financer, des bals sont organisés ainsi que des collectes dans les bars. Même si les Arditi sont une organisation para-militaire, ils fonctionnent donc en lien avec les quartiers ouvriers et ont une implantation dans ces quartiers et en lien avec le mouvement syndical.

Dès les premiers affrontements avec les fascistes, où ceux-ci sont défaits pendant ce premier été, Mussolini comprend le danger. Il propose un accord de paix avec le PSI qui va l’accepter ! Le point 6 de cet accord stipule que « le parti socialiste déclare n’avoir aucun lien avec les Arditi del Popolo et ses activités ». A partir de là le lien entre le PSI et les Arditi est rompu.

Ce qui est intéressant c’est que cette stratégie de Mussolini conduit aussi à une crise dans l’organisation fasciste en cours de construction. Mussolini essaie d’imposer une stratégie de combinaison entre « respectabilité parlementaire » et actions de rue. Mais certaines de ses troupes ne veulent pas suivre sur le terrain « respectable ». Mussolini est même conduit à démissionner le 18 août. Mais cela le conduira à reprendre en main l’organisation fasciste et à structurer une organisation nationale soudée derrière lui.

Il n’y a pas que le PSI qui, pour des raisons légalistes, dénonce les Arditi. Le PCI va aussi essayer d’empêcher ses membres d ‘y participer. La critique est cette fois « révolutionariste » : les Arditi « organisent la réaction du prolétariat aux excès du fascisme dans le but de rétablir l’ordre et la normalité dans la vie sociale. Le but des communistes est très différent, ils veulent diriger le combat révolutionnaire jusqu’à la victoire révolutionnaire.

La direction menace d’exclusion des membres du parti qui acceptent de participer à une organisation qui n’est pas sous la direction du parti communiste.

Un exemple de ce qui aurait pu être généralisé : la bataille de Parme

Pour des raisons locales à Parme, les Arditi del Popolo vont se développer dans un climat plutôt favorable à l’unité d’action. Des communistes vont participer aux Arditi en mettant en place leurs propres escouades. Parme est du coup une ville particulièrement combative.

En 1922 les fascistes décident de faire un exemple dans cette ville qui leur résiste et qui a maintenu, fin juillet, une grève dont le mot d’ordre a été annulé dans tout le reste de l’Italie. Il s’agit explicitement de faire un exemple.

L’attaque de la ville est planifiée par les fascistes qui assemblent des forces venant de toute la région. La nuit du 1er août, 20 000 fascistes armés s’assemblent aux abords de la ville. La police se retire.

Les Arditi del Popolo organisent la population de la ville, hommes et femmes pour résister aux fascistes (tranchées, ravitaillement, communications, barricades, etc…). Durant 4 jours, la résistance est acharnée et les fascistes sont repoussés.

Le 5 août, des négociations ont lieu entre les dirigeants de l’armée et les dirigeants socialistes et syndicaux de la ville. Ces derniers acceptent la proposition de l’armée selon laquelle les fascistes partiront si au préalable les barricades sont démantelées et les défenseurs désarmés.

Quand l’armée rentre dans la ville, elle constate que les véritables dirigeants ne sont pas ceux qu’elle a rencontrés : la population refuse. Il y a des scènes de fraternisation avec les soldats. Les dirigeants de l’armée préfèrent alors retirer les troupes !

Les fascistes tentent une dernière nuit de combat et le 6 au matin leurs troupes se retirent en panique.

Le bilan sera de 39 fascistes tués et 150 blessés. Du côté de la population de Parme il y aura 5 morts et 30 blessés.

Cette défaite va créer une panique chez les fascistes. Mais l’exemple ne sera pas généralisé. Il ne modifiera pas la ligne du PCI et du PSI.

Par ailleurs, outre cette absence de lien, l’autre faiblesse (mais qui est liée) est aussi que les Arditi ne sont qu’une organisation d’auto-défense. Pas de lien donc avec une alternative : l’auto-défense de la ville de Parme ne donnera par exemple pas lieu à la mise en place d’une prise de contrôle de la ville par la population.

3 – France : février 1934

L’origine du processus qui conduit au Front populaire est une riposte contre le fascisme.

La révélation d’un énorme scandale de corruption, l’affaire Stavinski, donne lieu à une agitation de rue durant tout le mois de janvier 1934. Des émeutes et affrontements sont orchestrés par les courants réactionnaires, associations d’anciens combattants, ligues fascistes et monarchistes (Action française, Cagoule…).

Le 6 février 1934, à l’appel de ces organisations, des dizaines de milliers de manifestants, peu coordonnés, dont une partie se trouve place de la Concorde, essaient d’attaquer l’assemblée nationale qui se réunit alors. Il y aura 15 morts et des milliers de blessés.

Sous la pression, le gouvernement Daladier démissionne et est remplacé par un gouvernement d’union nationale.

Il faut comprendre que l’exemple de l’Allemagne, où Hitler a pris le pouvoir un an auparavant, a rendu les milieux de gauche un peu plus sensibles à la question du fascisme.

Dès le soir, même les courants de la gauche du parti socialiste (la SFIO) tentent de prendre contact avec le Parti communiste pour une riposte unitaire. Au niveau syndical, la fédération des postes de la CGT (liée à la SFIO, le mouvement syndical est divisé avec la CGTU liée au PC) lance un appel national à des ripostes. Le PC refuse tout accord avec la SFIO (ainsi que dans l’autre sens la direction majoritaire de la SFIO) et appelle sur ses propres bases (attaquant la responsabilité du PS) à une manifestation le 9 février (où se rendront les membres de la gauche de la SFIO). Cette manifestation interdite donnera lieu à de violents affrontements avec la police avec 6 morts côté communistes et 200 blessés, manifestants et policiers.

Mais en province, dès le 8, l’appel syndical donne lieu (en contradiction avec les directions nationales) à des initiatives et premiers rassemblements mêlant syndicalistes, socialistes et communistes. Le 10 février, des écrivains de différents horizons (Malraux, Eluard, Alain, Gehenno…) lancent un appel « à tous les travailleurs, organisés ou non, décidés à barrer la route au fascisme sous le mot d’ordre : unité d’action. »

La CGT, en lien avec la SFIO et la LDH, appelle à une journée de grève nationale et de manifs le lundi 12 février. Localement le mouvement de riposte unitaire entamé dès le 8 se poursuit avec des initiatives le 11. Le PC va attendre le 11 au soir pour décider d’appeler, sous ses propres mots d’ordre au mouvement du lendemain. C’est donc contre leurs propres directions que, notamment en province, les militants de la CGTU et de la CGT, du PC et de la SFIO poussent pour l’unité.

Ce sera la plus grosse journée de grèves et de manifestations dans l’histoire du mouvement ouvrier en France jusqu’à ce jour : 5 millions de grévistes, des rassemblements et manifestations dans 346 villes. A Paris, les cortèges du PC et de la SFIO se croisent sur la place de la Nation en tournant en sens inverse. Les slogans « Unité, Unité » fusent des deux côtés menant à une fusion de la manifestation qui va jusqu’à Vincennes.

Il ne s’agit pas ici de faire le bilan du Front populaire mais retenons que :

– la riposte unitaire sur la base de la lutte contre le fascisme est imposée aux directions (cela mettra des mois pour se concrétiser au niveau des directions). Alors que les directions ne sont pas sur cette ligne des centaines de comités de vigilance unitaires existent déjà en mars 1934.

– cette riposte antifasciste massive va donner lieu à un mouvement qui dépasse du coup le cadre strictement antifasciste pour aller sur un terrain beaucoup plus politique et beaucoup plus large (réunification syndicale, remontée des grèves, etc.)

– l’échec du Front populaire (dont nous n’analyserons pas les raisons ici) conduira par contre à Vichy

4 – Angleterre : Rock against Racism et Anti-Nazi League

Une coalition fasciste, le National Front, commence à obtenir des percées aux élections locales à partir de la moitié des années 1970, bien que cela n’atteigne pas encore le niveau des fascistes des années 1930, ou même les succès électoraux du FN dans les années 1990. Dans le même temps se développent les attaques racistes et les violences contre les militants d’extrême-gauche.

Les deux éléments fondateurs du mouvement antifasciste qui se crée sont assez significatifs de ce mouvement par la suite : Rock against Racism – RAR (une riposte politique et culturelle) et les affrontements de Levisham (la réaction populaire et la confrontation).

En août 1976, Eric Clapton, guitariste pourtant très influencé par la musique noire américaine, fait des déclarations extrêmement racistes dans un concert appelant même à voter pour un fasciste (Enoch Powell). L’année précédente, Bowie a déclaré que Hitler était la première rock star mondiale.

Sur cette base, des artistes et musiciens proches de l’extrême-gauche vont lancer une riposte sur le terrain culturel. Ce sera Rock against Racism, qui va organiser des concerts puis lancer un fanzine. De manière assez intéressante, ce mouvement qui va faire basculer la jeunesse du côté antifasciste, va aussi créer et développer un style culturel, design, typographique, un style de textes… tout en mettant en contact des styles de musique et des publics qui s’ignorent. Pour caricaturer, le rock au public plutôt blanc et différents styles de musique au public noir. Ce mouvement va également favoriser le développement de styles musicaux de fusion : le ska, la musique des Clash, etc.

Des ripostes existent aussi sur le terrain local, dans les quartiers, contre les fascistes et contre les violences policières racistes où sont actifs des groupes antiracistes, des courants féministes radicaux et les organisations de l’extrême-gauche.

Cela aboutit en août 1977 à la bataille de Levisham dans la banlieue de Londres où ont eu lieu des violences racistes policières. Des manifestations de soutien ont été attaquées par la police et les fascistes, dans ce quartier multiracial et populaire.

Le 13 août, le National Front appelle à une marche dans le quartier. Une réaction se met en place, qui conduira à un rassemblement pacifique le matin (appelé par différentes associations, des responsables locaux du parti travailliste et le parti communiste) et une manifestation au même endroit et à la même heure que les fascistes. 4000 manifestantEs se retrouveront le matin où des militantEs d’extrême-gauche iront argumenter en faveur de la participation à la manifestation de l’après-midi. L’après-midi, 6000 manifestantEs où l’aspect décisif est que les différents groupes militants radicaux sont rejoints pas des jeunes du quartier. La riposte se traduit alors par de nombreux affrontements où les fascistes sont humiliés et déroutés tout en étant protégés par la police. Une fois les fascistes évacués, des affrontements ont lieu avec la police : pour les personnes qui ont vu le film Rude boy des Clash, il y a des images de cette journée.

L’événement se traduit par une pluie d’attaques contre les manifestantEs et notamment contre l’organisation d’extrême-gauche la plus en pointe sur la question, le SWP. Tous les grands journaux se relaient pour condamner les « fascistes rouges » à l’unisson avec les responsables politiques dont ceux du parti travailliste.

Cependant, il y a aussi un écho dans l’autre sens : cette journée de manifestation ouvre la possibilité de lancement d’une initiative unitaire, grâce notamment au SWP, avec des figures de la gauche du parti travailliste et des syndicalistes proches du parti communiste. Cette initiative va obtenir un écho très rapidement : c’est l’Anti-Nazi League.

Cette démarche unitaire va se développer selon plusieurs axes :

– sur le terrain culturel, en lien avec RAR, avec de multiples concerts et manifestations et en 1978, d’énormes carnavals anti-nazi

– la création, sur tous les fronts, de groupes, plus ou moins spontanément, avec des badges spécialisés et des fanzines (des pubs ont même créé des sections de l’ANL) : Skaters contre les Nazis, VégétarienNEs contre les Nazis, CollégienNEs contre les Nazis.

Trois domaines sont ciblés plus particulièrement : le mouvement syndical où se mettent en place des sections par profession, soutenues par les syndicats, les stades de foot où les nazis essaient de s’implanter et où l’ANL obtient le soutien d’entraîneurs de grands clubs et de footballeurs et des clubs de supporters de foot contre les nazis voient le jour, et enfin le milieu de la musique avec Rock Against Racism.

– enfin un travail dans les quartiers populaires. Outre la diffusion de tracts, le porte-à-porte dans les périodes électorales des groupes de nettoyage anti-nazi suppriment les tags et proposent leurs services aux commerçants pour nettoyer les graffitis nazis.

A côté de ce travail de terrain, la stratégie de l’ANL est une stratégie de confrontation directe mais de masse avec les Nazis avec des manifestations organisées en lien avec le quartier à chaque fois que les fascistes appellent à des marches. Et l’objectif de les marginaliser et les virer chaque fois qu’ils organisent des distributions de tracts… En 1978, une nouvelle bataille de Lewisham a lieu dans un autre quartier populaire de Londres, Southwall où les fascistes sont virés du quartier. Mais un militant du SWP est tué par la police.

Aux élections de 1979, les fascistes s’effondrent. Le National Front implose. Une autre situation s’ouvre puisque c’est aussi l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher…

5 – France : années 1990 jusqu’à la scission du FN

Au milieu des années 1980, le FN commence à percer électoralement, notamment à Dreux et aux élections européennes. Ce sont aussi des années où s’est développé un mouvement antiraciste finalement canalisé/récupéré par SOS-racisme qui à la fois le détourne de ses qualités de départ (radicalité, implication des jeunes des quartiers…) mais lui donne temporairement un caractère de masse. Mais face à la montée du FN, SOS-racisme, totalement lié au PS au pouvoir, développe un anti-racisme moral et l’idée que « ce qu’il faut c’est réparer les ascenseurs dans les cités » (Harlem Désir).

Pourtant, en 1998, le FN va subir une crise très profonde qui aurait pu le tuer. Elle prend la forme d’une scission entre son dirigeant historique Jean-Marie Le Pen et l’étoile montante Bruno Mégret qui crée le MNR.

L’origine de cette crise n’est pas une simple querelle de leadership. Tant que le FN progressait, les contradictions possibles et les querelles d’égo restaient au second plan. Quatre facteurs vont mettre la pression sur le FN :

– A partir de décembre 1995 et les grandes grèves contre la « réforme » des retraites – déjà ! – un processus de mobilisations de masse et de luttes redonne une audience aux solutions de solidarité collective, aux syndicats et à la gauche radicale. Cela assèche l’audience du FN dans les milieux populaires et accroît du coup la tension entre la stratégie qui cherche des notables à la droite de la droite – notamment pour les élections, et la stratégie d’appel aux milieux populaires ;

– Avec la lutte des sans-papiers et le mouvement contre les lois racistes de Debré, un mouvement antiraciste trouve un large écho en 1996 et 1997 ;

– Depuis le début des années 1990, un mouvement antifasciste spécifique s’est développé avec notamment la création de Ras L’Front qui organise des contre-manifestations locales, diffuse tracts et journaux sur les marchés et y vire le FN, organise des salons du livre antifascistes, des concerts… Mais à côté de Ras L’Front coexistent (de manière plus ou moins conflictuelle) d’autres mouvements ou réseaux : Réflex, SCALP, Le Manifeste contre le FN, les uns plus axés sur la confrontation avec les fascistes, les autres plus « modérés ». Quelles que soient les divergences, cela crée un climat : même un groupe comme Le Manifeste totalement subordonné à un courant du PS, prône le « harcèlement démocratique » du FN. L’idée est très généralisée qu’il ne faut reconnaître aucune légitimité au FN, refuser de débattre avec lui, etc…

– Enfin, dès le milieu des années 1980, une scène musicale alternative a permis progressivement de gagner le combat culturel contre les fascistes. Le groupe le plus connu de cette scène est Les Béruriers Noirs, mais c’est toute une scène dite alternative qui existe.

En 1997 à l’occasion du congrès du FN, 50 000 manifestantEs venuEs de toute la France manifestent à Strasbourg sur le lieu même du congrès.

Début 1998, le FN implose.

Le problème c’est que, une fois le FN au sol, le mouvement antifasciste s’arrête avant de l’avoir totalement écrasé. Ce qui domine alors, c’est que le plus dangereux est la lepénisation de la droite… et plus tellement le FN lui-même. Et par ailleurs le mouvement de luttes et de radicalisation à gauche qui va continuer pendant des années, n’aboutira pas à des résultats significatifs.

DG, Juillet 2013

 

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