Libraires en grève : c’est trop la classe !

Nous sommes en train de vivre une expérience formidable dans le secteur de la librairie et des métiers du livre.
Les Cahiers d’A2C #07 – mars 2023

Pour la première fois, nous nous organisons ensemble face à ce gouvernement, sa réforme, et plus globalement face à la société que nous imposent ceux d’en haut. Pour la première fois des libraires tentent de s’adresser à l’ensemble de la chaîne du livre, se retrouvent en assemblées générales et en cortège durant les manifestations. Depuis le début de la mobilisation notre secteur est dans la rue : nous cherchons donc à le visibiliser.

Nous sommes éparpillé·es sur de toutes petites entreprises de moins de 10 salarié·es réparties sur l’ensemble du territoire : c’est ce qu’on appelle un secteur atomisé et sans tradition d’organisation collective.

Des tentatives fructueuses !

Avec plusieurs militant·es de la CGT librairie et de Carton Plein, un collectif d’autodéfense des salarié·es en librairie, cela faisait plusieurs mois que nous nous retrouvions pour mener des activités syndicales. En effet, nous avions proposé plusieurs réunions, notamment pour intervenir dans l’école de la librairie où, tous les ans, des apprenti·es se retrouvent dans des situations intenables. Nous souhaitions agir pour faire bouger les choses et permettre aux apprenti·es de profiter vraiment de leurs apprentissages pour qu’iels ne soient pas juste des salarié·es sous rémunéré·es et sur exploité·es. Nous avons aussi mis en place une permanence de la CGT librairies à l’UL CGT du 18e à Paris. Ainsi, nous avons pu nous appuyer localement sur les camarades pour nous aider à la mettre en place. Grâce à ces embryons d’activités régulières dans notre secteur, nous avons pu faire des rencontres et créer des liens. Ce sont ces liens qui nous ont permis d’être très réactif·ves dès les premières journées de mobilisation contre la réforme des retraites.

Ces AG sont des cadres assez inédits pour notre secteur qui permettent de s’organiser et de prendre en charge nous-mêmes notre grève. Elles nous permettent surtout de l’élargir à un maximum de libraires mais aussi à d’autres métiers du livre (édition, distribution…). Nous avons été surpris·es, au début du mouvement, du manque d’informations dont disposaient les collègues sur le droit de grève. Aller les rencontrer, discuter et expliquer les droits dont iels disposent permet aussi de donner confiance et de renforcer la lutte collective. De ces moments de discussion que permettent les tournées en librairies, nous en sommes toujours sorti·es avec une patate énorme, et encore plus confiant·es sur le fait qu’il fallait continuer à élargir la mobilisation à toujours plus de collègues : que ce soit sur la question des retraites, de nos salaires ou de nos conditions de travail. 

Un des obstacles auquel on fait face dans cette mobilisation est qu’il faut convaincre nos collègues de la nécessité de se mobiliser au sein de notre secteur. D’un côté, certain·es doutent de l’impact réel de fermer des petits commerces comme des librairies, voire ont peur des conséquences pour les entreprises elles-mêmes, quand d’autres, souvent déjà militant·es, se mettent en grève pour aller manifester avec les personnes ou les orgas avec qui iels ont l’habitude de militer. Il faut donc qu’on continue, petit à petit, à essayer de convaincre chacun·e de nos collègues que c’est important et nécessaire qu’on s’organise en tant que libraires et travailleur·euses du livre, pour petit à petit gagner et mobiliser l’ensemble de notre secteur.

Les AG hebdomadaires nous permettent notamment la mise en place de commissions pour s’organiser : caisse de grève (pour tenir !), soirée de soutien, cortèges, tournées en librairie, com’… Des outils pour que tout le monde s’organise, agisse et soit un·e activiste de la grève et que notre cortège soit celui de toustes ! 

On ne discute pas que des retraites !

C’est dans ces cadres que nous nous confrontons à pleins de débats sur comment construire et gagner face à ce gouvernement. Si nous nous mobilisons contre la réforme des retraites, nous sommes conscient·es que l’enjeu va au-delà. C’est de toute la politique de Macron et de son monde dont nous ne voulons plus ! C’est dans cette ambiance-là que nous avons discuté de comment construire la grève reconductible, en ayant conscience que dans notre secteur nous aurons des difficultés à faire une reconductible totale à partir du 7 mars. Cela va demander plus de temps pour réussir à la construire, mais nous argumentons partout autour de nous pour faire grève le 7 et le 8 mars. Oui, nous voulons participer à la bataille féministe, à la fois parce que nous sommes un secteur largement féminisé et donc, sans étonnement, nous sommes très mal payé·es. Mais il s’agit aussi, pour nous, d’en finir avec cette société sexiste ! 

Tout cela amène forcément à s’organiser collectivement, mais sur quelle base ? À quelle échelle ? En effet, la difficulté est de ne pas rester isolé·es, de renforcer les liens avec les autres secteurs, notamment avec le petit commerce et d’agir ensemble. Pour cela il nous semble nécessaire d’essayer de se lier aux AG interpro de nos secteurs géographiques. Cela peut permettre d’avoir des soutiens et d’agir en lien avec nos quartiers, tout en continuant de s’organiser au niveau de notre secteur, et d’élargir nos revendications sur la question de nos conditions de travail. En effet, la profession de libraire est régie par des grilles salariales très basses, sans reconnaissance des conditions de pénibilité au travail, les heures supplémentaires sont souvent non comptabilisées… Et quand on parle de ça, on arrive vite à des revendications économiques plus globales, puisqu’une des principales causes de ces mauvaises conditions de travail est l’hyper concentration dans le monde du livre, grâce à laquelle certains grands groupes (Bolloré, Lagardère, Michelin par exemple) s’enrichissent de manière démesurée.

Les liens qui se tissent ne restent pas cantonnés à Paris ou la région parisienne. En effet, la visibilité de ce qu’on construit sur les réseaux de libraires, les liens avec les apprenti·es de l’école de la librairie, qui ne travaillent pas toustes à Paris, nous permettent de créer un réseau au-delà de Paris et c’est une très bonne nouvelle. 

À Marseille, l’organisation est balbutiante mais se met quand même en place : avant le début du mouvement, il n’y avait aucune structure organisée de salarié·es (très peu de syndicalisation dans les librairies marseillaises, pas d’habitude de faire des choses ensemble). Après deux rendez-vous pour défiler ensemble lors de manifestations, une première réunion va se tenir avec comme objectif : convaincre de faire grève les 7 et 8 mars ! La réalité locale étant très différente de celle de Paris (beaucoup moins de librairies, les autres métiers du livre peu installés sur Marseille) on essaye de construire une mobilisation en lien avec notre terrain : des salarié·es des cinémas marseillais ont elleux aussi décidé de faire un cortège lors d’une manifestation récente. L’idée serait donc, pour le 7 mars, de défiler ensemble comme salarié·es des industries de la culture, et de trouver des mots d’ordre qui nous lient.

D’Albi à Brest en passant par Toulouse et Metz, des libraires de différentes villes se mettent en lien, expérimentent et partagent leurs expériences et leurs réseaux pour être toujours plus nombreux et nombreuses dans la rue.

Une amorce d’organisation collective dans notre secteur : notre première victoire !

Le 7 mars va très probablement être une journée très réussie en librairie : des librairies vont fermer car tous les salarié·es y seront en grève et c’est déjà énorme ! Le 8 mars sera peut-être un peu moins suivi mais ce sont les premiers jalons d’une organisation de ce secteur. Nous savons que pour gagner la bataille sera longue et dure mais le bookbloc sera là et se renforcera ! 

Nous avons l’impression que dans notre secteur, quoi qu’il arrive sur cette séquence, les choses ne seront plus comme avant. On s’est rencontré, on a agi ensemble, les liens sont faits et c’est aussi sur la durée qu’on a sûrement gagné quelque chose. Les libraires s’organisent, et pour longtemps on espère. 

Sana, Paris 18e, et Lou, Marseille
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