La campagne montreuilloise Antiracisme et Solidarité

Retour d'expérience

« Il serait absurde de tirer à coups de revolver sur l’urne électorale. Mais il serait encore plus absurde de se défendre contre les bandes fascistes avec le bulletin de vote. »

Léon Trotsky, Où va la France ?, 1935.
Les Cahiers d’A2C #03 – MAI 2022

La gauche politique de Montreuil n’a pas usé des mêmes choix pendant la période électorale.

La majorité des forces de gauche s’est mobilisée pour faire de la campagne électorale un enjeu politique majeur en soutenant pas moins de six candidat·es différent·es. Nos forces ont ainsi été divisées sur des paris et des stratégies politiques différentes, basées sur nos croyances et nos histoires de luttes.

Les militant·es d’A2C Montreuil, convaincu·es du danger fasciste et de l’action par en bas contre le racisme, ont décidé d’argumenter auprès du Collectif des Sans-Papiers Montreuil (CSPM), des unions syndicales locales et auprès des activistes anticapitalistes de Montreuil Rebelle (MR), pour s’emparer et construire la Campagne Antiracisme et Solidarité (CMAS) localement.

Riche des précédentes expériences du collectif de soutien au CSPM pour la préparation de la Marche des sans-papiers et de l’acte 3 de la Marche des Solidarités (MDS), cette nouvelle organisation locale a débuté le 28 janvier 2022.

Quelle base pour agir ?
Les « 5 de Montpellier » et Gollé Sylla

En décembre 2021, le CSPM peine à sortir d’une crise lancinante qui dure depuis près d’un an mais, malgré une multitude de divisions, un élément structurant n’a jamais été abîmé : la solidarité intrinsèque de ses militant·es. C’est ce principe qui a permis d’impulser deux campagnes déterminantes pour la suite de la CMAS.

Les luttes menées en solidarité avec les « 5 de Montpellier » et Gollé Sylla ont permis au CSPM de retrouver confiance en ses forces d’action collective, en sa capacité d’organisation, et de gagner à nouveau une implantation parmi le mouvement social à Montreuil.

Le 28 janvier, un meeting en solidarité avec les « 5 de Montpellier » fut organisé à la Parole Errante. C’est à cette occasion que les animatrices et animateurs de la Campagne nationale Antiracisme et Solidarité ont présenté la logique et l’agenda sur lesquels allaient s’articuler ce front unique. C’est à cette occasion que l’initiative de s’organiser localement pour mener les suites de la solidarité concrète avec les « 5 de Montpellier » et construire le 19 mars a été défendue publiquement pour la première fois.

4 000 affiches collées pour les manifestations du 19 mars et du 03 avril… Et puis après ?

La CMAS a donc été initiée par les activistes d’A2C Montreuil, des dirigeants du CSPM, des syndicalistes de l’UL Solidaires Montreuil, des militant·es de la CGT Montreuil, des militantes féministes associées à MR et à l’Assemblée féministe Montreuil, des militant·es de Montreuil Rebelle et du NPA Montreuil.

Ce cadre a permis de formidables dynamiques dans la préparation active du 19 mars à Montreuil. 2 700 affiches ont été collées, 6 porte-à-porte dans les foyers de travailleurs migrants ont été réalisés. Nous avons même réussi 4 initiatives s’articulant autour de la manifestation parisienne contre le racisme et les violences policières.

Le 12 mars, le CSPM, la CMAS et des activistes de la lutte antiraciste comme Fatou N’Dieng ou Mama Doucouré ont déambulé de la Cour nationale du droit d’asile au foyer Rochebrune.

Le 17 mars, une projection en avant-première d’un film de fiction s’appuyant sur l’histoire du CSPM a réuni plus de 150 personnes à la salle des fêtes de la mairie de Montreuil. Cela a permis de toucher un public en partie peu impliqué dans les luttes antiracistes locales.

Le 19 mars, un rassemblement unitaire et un départ collectif de Montreuil en solidarité avec les « 5 de Montpellier », contre le racisme et les violences policières a permis de regrouper 150 personnes environ. Le CSPM a réussi à mobiliser 63 camarades. Aucune initiative n’avait regroupé autant de sans-papiers depuis l’acte 4 appelé par la Marche des Solidarité en décembre 2020.

Toutefois, pendant cette manifestation, des fachos proches de Civitas ont attaqué une prière commune entre chrétien·nes et musulman·es. Ce sont les dynamiques impulsées par la CMAS qui ont permis de tenter de réagir en préparant activement la manifestation contre l’extrême droite et ses idées le 3 avril.

Ainsi, entre la réunion unitaire du mardi 29 mars (regroupant trois fois plus de militant·es locaux qu’à l’habitude) et la manifestation du samedi 3 avril, plus de 1·000 affiches ont de nouveau été collées et 5 diffusions d’un tract à destination des lycéen·nes ont été réalisées. Enfin, des diffusions centrales lors de festivités publiques ont été assurées… et pourtant seulement 30 personnes ont répondu présentes au départ collectif le 3 avril à Croix-de-Chavaux.

À la vue d’une telle énergie militante, nous pouvons tirer un premier bilan d’étape le 3 avril au soir, à une semaine de l’élection présidentielle, il est peu évident de mobiliser massivement contre le racisme d’État et le péril fasciste.

Les 10, 16 et 21 avril : la force de la conviction et l’acharnement

Dans ses premiers temps, la CMAS était principalement animée par des militant·es d’A2C (avec ou sans-papiers) et par des syndicalistes locaux.

À partir du 10 avril, la propagande et l’agitation de masse ont permis de gagner de nouvelles forces à la CMAS. Ainsi, nous avons pu appeler, avec le NPA et l’Assemblée féministe, à un rassemblement le soir du premier tour de l’élection présidentielle.

Cette fois, 60-70 personnes ont répondu présentes. Fumigènes à la main, nous avons pu manifester jusqu’au métro Robespierre sans déclaration préalable avant de nous disperser.

Pour le 16 avril, la CMAS a tenté l’impossible : faire de l’agitation de masse en 48 h pour mobiliser un maximum de personnes. L’appel de la Marche des Solidarités diffusé sur les réseaux sociaux à manifester contre le racisme et le fascisme a rapidement été perçu comme légitime. Ainsi, avec la jeunesse mobilisée et la gauche pas trop déboussolée. 250 à 300 personnes ont répondu présentes. Le CSPM, après de nombreuses discussions politiques en son sein sur la nature du fascisme et du racisme, a mobilisé 28 camarades.

De plus, dès le 19 avril, le plus gros des lycées de Montreuil sentait à nouveau l’odeur des piquets de grève et la jeunesse se révoltait contre le fascisme et le racisme.

Le 21 avril, le CSPM appelait sur ses propres bases, avec le soutien de la CMAS à manifester pour l’ouverture d’un guichet unique en préfecture, la régularisation de tou·tes les sans-papiers, contre le fascisme et le racisme. 48 camarades se sont mobilisés en plein ramadan et en plein après-midi. La direction du CSPM et son noyau le plus militant ont organisé six porte-à-porte dans les foyers.

Quel est le point commun entre une mobilisation lycéenne et une manifestation de sans-papiers ?

Elles regroupent deux forces sociales qui n’ont pas le droit de vote. Ainsi, leur unité n’a pas été brisée face aux appels au vote peureux d’une gauche peu utile ces derniers mois. Leur spontanéité n’a pas été anéantie, malgré la misère théorique de l’analyse du fascisme criéée dans les AG par certains groupuscules d’extrême gauche. Et leur autonomie a pu se construire malgré la répression et l’idéologie dominante.

Alors oui, il a fallu « s’acharner pour gagner des arguments pour le mouvement et dans le mouvement » (Vanina Giudicelli), ceci afin de regrouper quelques centaines de personnes seulement et redonner le sourire aux militant·es ouvriers les plus opprimé·es de notre ville.

Toutefois, la Campagne montreuilloise Antiracisme et Solidarité peut jouir d’une implantation de classe que peu de fronts uniques peuvent prétendre avoir rassemblée par l’action. Même si de nombreuses discussions collectives sont à mener aujourd’hui pour que cette organisation trouve et fonde sa propre identité militante locale et définisse son rythme d’actions. Car dans l’urgence, par l’accélération des enjeux, pendant la période électorale, nos capacités d’organisation collective ont aussi expérimenté les limites du rythme de notre acharnement dans la durée, lorsque l’on n’est pas assez nombreux·euses pour supporter sans encombre un tel calendrier. Et peut-être parce que, sans situation révolutionnaire véritable, il demeure nécessaire d’intégrer les rythmes (longs face à l’urgence) des différentes organisations qui constituent une campagne ou une assemblée, pour gagner nos arguments ou acter nos désaccords, sans s’empêcher de construire ensemble nos luttes communes et sans briser nos confiances. Les acteurs et actrices de la CMAS retiennent aussi l’importance de clarifier, pour le collectif et pour nos propres organisations, le rôle et la place des diverses organisations qui constituent le mouvement, en donnent le rythme et y contribuent.

Pour l’après ? La CMAS s’organise dans la durée, réfléchit à s’autofinancer et continue d’organiser ses luttes contre le racisme et le fascisme. Nous avons notre devise « Love Montreuil, Hate Fascism ! »

Gaël, Montreuil
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