Récidive 1938, Michel Fœssel

L’atmosphère en France devient de plus en plus difficilement respirable. Le fascisme est aujourd’hui un danger palpable pour nous, les signaux ne sont que trop nombreux : poids électoral du RN, banalisation médiatique des discours d’extrême-droite, durcissement islamophobe, raciste et répressif de l’État… Mais le fascisme ne sort pas de nul part, il correspond à un moment donné de l’histoire du capitalisme. En 2018, le philosophe Michaël Foessel est retourné 80 ans en arrière, en 1938 en se posant la question : « de quoi les années trente sont elles la manifestation ? » Il en a sorti un livre, composé presque exclusivement des recensions d’articles de presse de cette année, pour en restituer l’atmosphère, encore plus irrespirable que celle d’aujourd’hui mais dramatiquement similaire.

Les défaites 

    À la lecture du livre, il apparaît que l’année 1938 est beaucoup trop actuelle. Les réfugié.e.s se trouvent réduit.e.s à l’état de stock à mettre dans des « centres spéciaux » qui ne peuvent que rappeler les actuels CRA. La xénophobie est de plus en plus ouverte et brutale. Le chômage monte et les droits des travailleur.se.s sont réduits sous prétexte de « remettre la France au travail » après la séquence du Front populaire de 1936. Le régime parlementaire libéral s’efface aussi au profit des « décrets-lois », procédure législative permettant au gouvernement de contourner le vote du parlement.

    Le passage le plus glaçant du livre est le seul écart à l’année 1938 que se permet Foessel. En 1944 juste avant la libération de Paris. Un éditorialiste sous pseudonyme du journal Je suis partout s’y réjouit de la Shoah, malgré la défaite militaire imminente de l’Allemagne nazie. À ce moment, on se rend compte que la victoire des forces alliées ne peut pas réparer tous les crimes commis. Cela nous confirme aussi que le problème n’est pas que l’extrême-droite ait aujourd’hui une audience de plus en plus élevée mais son existence même. Tant qu’il y aura des personnes qui adhèrent à ce projet politique, ne serait-ce qu’une poignée d’individus, le combat antifasciste sera nécessaire.

L’encre fait-elle le champ de bataille ?

    La méthode employée par Foessel est par contre assez limitée. Son année 1938 n’est peuplée que de journalistes, presque exclusivement des hommes ; on ne saura jamais qui étaient ces réfugié.e.s, alors que celles et ceux-ci ont lutté contre leur enfermement. De même, les ouvrier.e.s, souvent sujet des articles cités, ne prennent jamais la parole alors que leur action a été le moteur de l’année 1936, qui se cache toujours derrière 1938.

    On regrettera aussi que l’auteur ne réponde jamais à sa question de départ ; on ne saura jamais de quoi 1938 est, pour lui, la manifestation. Il se contente de suggérer des parallèles entre ce passé et aujourd’hui. Il n’y a aucune hypothèse sur ce qui a pu amener à une telle situation, rien sur la crise économique, rien sur le nationalisme ou sur l’échec du parlementarisme du Front populaire ou des syndicats. À ce niveau, malgré la richesse des ressources mobilisées, le livre rate son premier objectif.

    Les limites de l’analyse de Michaël Foessel correspondent traits pour traits à celles d’un certain antifascisme moralisant : la crise politique est transformée en crise morale et face au fascisme il faudrait simplement mobiliser le « bon discours » qui ramènerait les brebis galeuses dans le droit chemin. À trop garder la tête dans ses journaux, il semble en oublier que ce n’est pas exclusivement là que se joue l’affrontement entre fascistes et antifascistes. Ce n’est pas « l’encre qui fait le champ de bataille » comme il l’écrit, mais bien plutôt toutes les attaques et toutes les résistances, partout et au quotidien. Des années 30 sont effectivement devant nous, mais ce sont celles du XXIe siècle et notre victoire ou notre défaite ne s’y jouera pas sous la plume des éditorialistes mais par l’organisation et la mobilisation des classes exploitées et opprimées.

Barnabé

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