Argumenter et convaincre de l’urgence antifasciste et antiraciste

Face à la passivité et l'inaction devant la menace fasciste

Le mouvement social historique contre la réforme des retraites qui s’est amorcé au début de l’année n’arrive pas dans n’importe quelle séquence : en 2022, nous avons vu pour la troisième fois en 20 ans s’opposer au 2nd tour de la présidentielle une candidate fasciste au candidat de la bourgeoisie, alors que quelques semaines plus tard entraient 88 député·es du RN à l’Assemblée nationale.

Les Cahiers d’A2C #08 – Mai 2023

Plus encore, des militant·es fascistes prennent de plus en plus régulièrement la rue à Lyon, Bordeaux et dans d’autres villes, ont attaqué à Saint-Brévin-les-Pins et Callac, diffusé des tracts racistes et nationalistes à Nanterre, se sont organisés pour attaquer des supporters de l’équipe du Maroc dans plusieurs villes durant la Coupe du monde de football.

Le projet de réforme prévoyant le report de l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans a été annoncé le 10 janvier 2023. Dès le 19 janvier, l’inter­syndicale rassemblant tous les principaux syndicats de travailleur·euses et étudiant·es ont lancé la riposte et la mobilisation a tout de suite été massive. Les principaux partis politiques de gauche ont également soutenu ce mouvement et affiché leur opposition au gouvernement et à Macron.

Le Rassemblement national a également affiché son opposition à la réforme des retraites. Bien qu’il n’ait pas appelé à la mobilisation, encore moins à la grève, cette prise de position a déclenché quelques réactions notamment de représentant·es syndicaux, comme Philippe Martinez de la CGT, pour affirmer que le RN ne serait pas le bienvenu dans les cortèges. Du côté des partis politiques de gauche, les critiques contre le RN formulées par quelques figures ne les ont pas empêchés de voter avec eux une même motion de censure, entérinant ainsi qu’il pouvait y avoir des situations dans lesquelles il était possible de faire alliance avec le RN.

Pour compléter ce tableau, le RN a organisé un meeting et un banquet le 1er Mai au Havre, regroupant plus d’un millier de militants fascistes pour une « fête de la nation ». Intervenant la journée internationale des droits des travailleur·euses, en plein mouvement social, dans une ville ouvrière emblématique des luttes dans les raffineries et les docks, ce rassemblement s’ajoute à de récents sondages qui annoncent que parmi les figures politiques et syndicales, celle qui progresse le plus en termes de popularité est Marine Le Pen.

Heureusement, un ensemble d’organisations au Havre, joint notamment par la Marche des Solidarités et les collectifs de sans-papiers venus en car, ont appelé à l’unité et à la riposte anti­fasciste. Ce jour-là des milliers de personnes se sont rejointes pour affirmer : « Pas de fascistes au Havre, pas de havre pour les fascistes ». On espère que cette riposte antifasciste sera le premier engrenage qui en entraînera de plus grands, comme en 1995 quand Ras l’Front déployait plusieurs banderoles devant les fascistes du FN et leurs alliés, démunis dans leur minable rassemblement rituel du 1er Mai de l’époque : place de l’Opéra devant la statue de Jeanne d’Arc.

Mais parce qu’il y a urgence face au danger fasciste qui s’amplifie, cet article tâchera de fournir un certain nombre d’éléments de réponses face aux arguments du camp de l’inaction. Ce camp de l’autruche et du péril qui n’appelle depuis 20 ans à ne faire barrage que dans les urnes, comme paralysé face au développement du racisme et du nationalisme, qui refuse de parler du danger fasciste pour ce qu’il est vraiment, et qui ne propose pas à notre classe de combattre, par peur qu’elle oublie de voter pour lui.

1er contre-argument

 « Le vrai combat contre le RN se jouera en 2027, lors des prochaines élections présidentielles »

Les élections ne sont qu’un des moyens par lequel les fascistes s’emparent de la société. Pour prétendre au pouvoir, le fascisme doit organiser et mobiliser activement une masse de membres. Or, son audience est aujourd’hui principalement électorale et donc passive. Ce sur quoi nous pouvons agir c’est donc sur cette capacité à transformer cette audience électorale, ou une partie d’entre elle en une masse active de fascistes. Ce combat doit se mener dès maintenant, non pas en brossant dans le sens du poil des électeurs du RN qui seraient « fachés pas mais fachos » mais en ne laissant plus le RN intervenir publiquement sans réaction, en cassant l’attrait que ce parti peut opérer en se prétendant « dédiabolisé » afin de détacher du noyau fasciste les éléments qui sont influencés. Il faut ainsi dénoncer systématiquement la nature réelle de ces organisations.

En acceptant de débattre avec eux, en signant des textes de lois ou des motions de censure avec eux, on contribue à leur banalisation. Laisser aux fascistes la possibilité de s’exprimer, de se présenter à des élections, de s’organiser, c’est leur laisser le pouvoir de s’en prendre aux personnes racisées, de mettre fin à nos grèves et mobilisations, de tuer. Pas de démocratie pour les ennemis de la démocratie, pas une affiche, pas un tract, pas une apparition publique !

La mobilisation de 2016 contre la loi travail, ou celle de 2019 contre la retraite à points n’ont pas suffi à endiguer la progression du RN, car le mouvement social ne suffit pas. Le combat antifasciste est un combat spécifique qui doit être l’affaire de toutes et tous.

2e contre-argument

« S’attaquer aux fascistes, c’est délaisser les capitalistes, c’est donc une lutte réformiste et une perte d’énergie dans la lutte contre le capitalisme »

En réalité, plus les fascistes se renforcent, plus notre capacité à combattre le capitalisme s’affaiblit. La lutte antifasciste est une des conditions de notre victoire contre le capitalisme, mais ça ne signifie pas qu’il faut être anticapitaliste pour être antifasciste.

Il suffit de voir la pénétration du vote RN au sein des personnes qui se disent proches des syndicats pour s’en convaincre (22 % de sympathisant·es CGT pour le RN par exemple). Comment garantir l’unité de notre classe – condition nécessaire à la victoire – si nous ne parvenons pas à combattre le racisme et le nationalisme qui l’ont gangrénée ?

Il n’y aura plus de mobilisations sociales d’ampleur, car plus d’unité possible de notre classe. Il est donc urgent d’insuffler les arguments au sein des syndicats et des mobilisations sociales, pour y gagner une implication concrète dans des luttes antiracistes.

En 1934, ce n’est pas le Front populaire qui a permis de repousser l’offensive fasciste de février, mais bien l’inverse : la mobilisation antifasciste a permis le Front populaire. Comment expliquer cela ? Par sa nature défensive, l’antifascisme permit en 1934 de construire un mouvement de masse impliquant différents courants, divisés par ailleurs sur de nombreuses questions, et bien au-delà de leurs rangs.

Par l’unité, condition nécessaire pour dynamiser la confiance en notre classe, qui permit d’annihiler l’argument des fascistes d’hier, comme de ceux d’aujourd’hui, qui voudraient prétendre représenter « le peuple ».

3e contre-argument

« Ce n’est pas en combattant le RN qu’on combat le fascisme, c’est en combattant Darmanin qui a une politique fasciste et qui est le vrai fasciste »

Peut-être faut-il commencer par dire que Darmanin est un individu nauséabond, un raciste et un violeur qui incarne l’autoritarisme et le racisme du projet actuel du gouvernement au pouvoir. Il incarne et porte encore les intérêts de l’État et de la bourgeoisie. En revanche, il n’incarne pas le projet de prise de pouvoir des fascistes qui lui est porté depuis sa fondation par un parti : le FN/RN.

L’autoritarisme n’est pas le fascisme. La caractéristique déterminante du fascisme n’est pas d’être autoritaire, ni même d’être raciste. Ce qui distingue le fascisme par rapport à tout autre mouvement, c’est son projet de mouvement de masse de la petite bourgeoisie autonome de l’État et de la bourgeoisie.

Cela ne signifie pas que les fascistes ne vont mettre en mouvement que les petits bourgeois, plus ils seront forts plus leur capacité à entraîner des ouvriers, des bourgeois et des aristocrates sera importante, mais le fascisme est le seul à cibler précisément cette classe et à vouloir obtenir leur adhésion active et non passive.

Darmanin incarne les intérêts de la bourgeoisie, le RN pourra à certaines occasions le faire, mais restera autonome. C’est par exemple comme cela qu’il faut comprendre l’opposition de ce parti à la réforme des retraites.

« Les fascistes rejettent l’idée que les forces économiques sont le moteur de l’histoire. Ils mobilisent autour de la « nation », de la « patrie », en tentant de rassembler contre les éléments « extérieurs » à la communauté, que ce soit en termes de frontières, d’origine, de culture, de religion. […] Ce n’est pas l’exploitation qui leur pose problème, mais une bourgeoisie jugée trop faible ou individualiste. Cette approche permet de comprendre que les fascistes s’adressent « à ceux d’en bas » avec un discours radical, sans compromettre pour autant les intérêts de « ceux d’en haut », en assumant souvent un positionnement politique « ni droite ni gauche »1Article de Vanina Giudicelli sur le danger fasciste en France, à lire !

4e contre-argument

« En gagnant sur les questions sociales (comprendre les salaires, le chômage, la réforme des retraites, etc.), on mettra fin aux raisons pour lesquelles le fascisme se développe »

Cet argument est lié à un autre qui n’est pas juste une reformulation mais qui est suffisamment proche pour y être associé : « on combattra le RN en exposant leur programme et leur discours sur les questions sociales ».

Il est tout à fait juste de dire qu’une des conditions à la possibilité d’un retour du fascisme au pouvoir est la crise économique, d’autant plus quand celle-ci se double d’une crise politique qui s’exprime par l’incapacité des institutions en place à apporter la moindre solution. Mais il existe une autre condition, tout aussi déterminante, c’est que les fascistes soient suffisamment enracinés dans le paysage politique d’un pays et qu’ils démontrent leur capacité à incarner une alternative aux ressources de la bourgeoisie.

Le racisme est l’élément décisif de l’attraction qu’opère le RN ! Celles et ceux qui dénoncent les inégalités et veulent une société plus juste, quand il s’agit de voter, votent à gauche ou s’abstiennent. Les 13 millions de votes pour Marine Le Pen indiquent la percée du racisme dans la société. Le Pen n’a même plus à le répéter dans chacun de ses discours (mais elle le fait encore bien assez !) tant racisme et nationalisme s’incarnent déjà dans les politiques anti-migrant·es et islamophobes de Macron. À ce titre, il est donc illusoire de croire que le mouvement social se suffit à lui-seul pour contenir ou faire régresser le vote fasciste.

Parvenir à reconstruire une tradition antifasciste ne pourra se faire qu’en la liant aux luttes antiracistes.

Face au danger fasciste en France, il nous faut agir :

Ni déni : le RN est un parti fasciste, il y a bien un danger fasciste en France et il augmente. Faire de l’antifascisme une priorité commence par affirmer que le RN porte un projet fasciste.

Ni panique : nous sommes encore la majorité. Le racisme progresse, les fascistes ont confiance, mais il reste encore dans ce pays des dizaines de milliers de personnes prêtes à s’engager dans un combat contre les fascistes, encore faut-il leur en donner les moyens.

Mais urgence : les groupuscules fascistes gagnent en nombre et en confiance ; le RN gagne en audience et en support électoral.

Pour agir, il nous faut une base à partir de laquelle convaincre pour ne pas reproduire les erreurs du passé, à savoir confier notre destin aux institutions ou parfois se tromper de cible :

  1. La lutte contre le danger fasciste est un combat spécifique, il ne suffit pas d’être anticapitaliste pour le combattre et il n’est pas indispensable d’être anticapitaliste pour s’y opposer ;
  2. C’est un combat qui peut et qui doit nous unir. Le combat antifasciste est l’affaire de tou·tes, militant·es ou non, car les fascistes vont investir la scène politique, multiplier les attaques et les meurtres ;
  3. Il faut les combattre à tous les niveaux : dans les quartiers, les syndicats, par tous les moyens en faisant de la participation active de notre classe à ce combat une priorité et une boussole. 
Mathieu Pastor, Paris 20e
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Notes

Notes
1 Article de Vanina Giudicelli sur le danger fasciste en France, à lire !