A2C : De la boussole à l’organisation

Éditorial septembre 2019

En août 2017, au lendemain de l’élection de Macron, l’édito (signé TPP) du bulletin n°3 d’A2C parlait d’une « victoire à la Pyrrhus » pour la classe dirigeante française.

Notre camp, pourtant, sortait d’une défaite marquante dans la lutte contre la loi travail, et se dirigeait vers une autre, celle de la « bataille du rail », sans parler de la séquence électorale elle-même qui a cantonné «la gauche» à des scores historiquement faibles mais porté la représentante d’un parti fasciste au second tour.

L’édito et, avec lui, la « ligne » générale d’A2C allaient à l’encontre de la sinistrose ambiante que l’on retrouvait dans toute la gauche, qu’elle se proclame nouvelle et anticapitaliste ou qu’elle entretienne les vieilles illusions d’un capitalisme perméable au «progrès social».

A2C n’est pourtant pas un groupe d’illuminéEs. Nous constatons avec notre classe que le «progrès social» s’est mis en marche arrière : plus de précarités et d’inégalités qui magnifient encore l’effet des oppressions, des organisations politiques et syndicales affaiblies et une «gauche de gouvernement» qui a appliqué les recettes néolibérales avec un zèle qui a fini par causer sa perte. La liste des « contre-réformes » de ces dernières années est longue comme un jour sans pain, et aucunE d’entre nous ne peut y échapper dans sa (sur)vie quotidienne, même si nous sommes touchéEs à des degrés différents. Sur ce point, nous sommes d’accord avec tout le monde, de Besancenot à Mélenchon.

Seulement, nous reconnaissons qu’il est impossible de lire la situation historique, le fameux «rapport de forces», à la seule lumière du contenu du nouveau code du travail, de l’agenda législatif de l’Assemblée nationale, des statistiques sociologiques de l’INSEE ou encore des sondages électoraux. Celles et ceux qui se cantonnent à cette grille de lecture reproduisent en négatif la vision de la social-démocratie allemande du début du 20e siècle, dont le pontife Karl Kautsky imaginait que le progrès social (et avec lui les scores électoraux de la gauche anticapitaliste, évidemment) serait graduellement acquis dans le cadre du capitalisme jusqu’à ce que le pouvoir «nous» tombe entre les mains comme un fruit mûr, par pure nécessité historique. La suite ne lui a pas donné raison.

Le gradualisme correspond au «temps homogène et vide du progrès mécanique, sans crises ni ruptures, un temps impolitique».1 http://danielbensaid.org/Les-sauts-Les-sauts-Les-sauts?lang=fr À A2C, nous respirons la politique, ses crises et ses ruptures. Il ne s’agit pas pour nous, au moment de faire le bilan d’une séquence de lutte, d’effectuer des calculs d’épicier pour évaluer les miettes que l’État et le capital ont daigné nous céder, mais bien de nous demander, comme le fait Vanina au lendemain de la grève SNCF : «sommes-nous plus fortEs ou moins fortEs pour les confrontations à venir? comment progresser?»

La victoire ou la défaite « formelle » lors d’une lutte sont loin d’être négligeables, mais restent subordonnées à la question véritable qui est celle de l’accumulation d’expériences collectives et de la confiance qui en découle. En effet, il ne faut pas oublier que «en deux ans, des centaines de milliers de personnes ont fait l’expérience de grèves, manifestations (déclarées ou pas), cortèges de têtes, occupations, blocages, assemblées, construction de collectifs, pour riposter.» C’était bien avant les Gilets jaunes!

Les gilets jaunes et ce qui vient

Les perspectives stratégiques et politiques développées collectivement à A2C depuis trois ans nous permettent de voir le mouvement extraordinaire des Gilets jaunes dans son contexte: un pouvoir à l’assise sociale de plus en plus étriquée, en crise politique permanente, sommé par le capital d’accélérer encore le rythme des réformes libérales alors même qu’une partie grandissante de la population se soulève contre les effets des réformes passées.

Les réformes du pouvoir ne sont pas dictées par une oligarchie qui aurait «capturé» la République, mais sont au contraire une expression des besoins aigus du capital et sont totalement en phase avec les vœux des grands patrons. Il est tout à fait vain d’espérer un retour à l’époque des «réformes progressistes», au contraire, la crise va s’accélérer, les antagonismes aussi. La lutte des classes va aller crescendo, c’est la trajectoire du capital qui le veut.

Le « débouché politique » ne se fera pas, comme l’espèrent les réformistes, par une canalisation vers les élections, et encore moins par une énième recomposition des chefs de la gauche voire de l’extrême-gauche, du haut de la «tribune parfaite» qui rassemblera dirigeantEs et intellectuellEs. Le débouché est là, devant nous, en-bas, dans les grèves des entreprises, des hôtels, dans la santé et l’éducation, dans le mouvement des Gilets noirs et les grèves des travailleurEs sans-papiers en cours ou qui se préparent pour la rentrée. La séquence politique des Gilets jaunes a entraîné dans son sillage toutes sortes de luttes, a ravivé les débats dans les syndicats et les collectifs qui se demandent: comment lutter pour gagner?

À A2C, nous sommes avant tout des activistes de classe, des militantes et des militants de terrain, regroupéEs afin de développer collectivement une perspective stratégique. En ce sens, au milieu des tentations de droite comme de gauche, de repli vers la solution électorale comme du fantasme d’une insurrection déclarée sur les réseaux sociaux, A2C nous donne une boussole.

Mais si elle peut indiquer la direction et l’objectif final – et tout est subordonné au but final de l’insurrection– une boussole ne peut suffire à déterminer les petits détours nécessaires, les obstacles que les militantEs doivent franchir au quotidien dans la construction d’un collectif, dans leur intervention sur une grève ou une occupation.

ConvaincuEs que l’émancipation sera l’œuvre des premièrEs concernéEs ou ne sera pas, convaincuEs que c’est en jetant de l’huile sur le feu du système et non par le progrès graduel que notre camp aura une chance de «devenir tout», nous voulons intervenir collectivement dans le mouvement, pour le mouvement.

Nous assumons de nous organiser de manière permanente et distincte du mouvement, mais nous n’avons pas d’autre intérêt que l’avancée du mouvement. Sa dynamique propre ne garantit rien: dans la mobilisation «inédite» des Gilets jaunes, les initiatives magnifiquement offensives étaient parfois lourdes d’une perspective réformiste. S’il n’a jamais constitué la dynamique du mouvement, le racisme n’en était jamais totalement absent. Quoi de plus normal! Il y a donc des luttes à mener dans nos mouvements.

Dans le mouvement, pour le mouvement, nous menons un combat politique offensif. Pour soutenir les grèves qui se multiplient, et les aider à s’auto-organiser pour gagner. Pour favoriser les différentes mobilisations locales dans nos quartiers. Contre les poisons que sont le racisme et l’islamophobie, pour la solidarité avec les migrantEs, conditions sine qua non de l’émergence d’une véritable conscience de classe. Pour favoriser le combat contre les fascistes (et notamment le RN) auxquels il ne faut laisser aucun espace d’expression ni d’organisation politique.

La crise va s’approfondir et élargir encore le champ des possibles et des dangers. C’est pourquoi nous avons besoin de mieux nous organiser localement, de tisser mille liens entre la théorie et la pratique. Non pas pour créer des ilôts utopiques, éphémères et illusoires à la marge du système, mais au contraire pour être capables de nous engager dans les multitudes d’expériences de notre classe, afin de concrétiser la stratégie d’autonomie politique, «c’est-à-dire tout ce qui permet à notre classe de se penser comme le seul pouvoir politique alternatif possible».2 Vanina Guidicelli, Bulletin A2C N°4, Août 2018 https://www.autonomiedeclasse.org/wp-content/ uploads/2019/02/a2c_bulletin4.pdf

Rejoindre A2C, c’est défendre cette stratégie dans le mouvement et construire une organisation capable d’influencer les luttes à venir.

JB
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